L’année ? 1955. Le lieu ? Asteroid City, modeste bourgade de 87 habitants située quelque part sous le soleil brûlant du désert américain. C’est là qu’il y a environ trois mille ans une chute d’astéroïde a donné son nom au lieu, et formé un cratère qu’il est possible de visiter aux heures d’ouverture réglementaires. C’est là, entre le motel, le restaurant, la station-service et le poste d’observation spatiale, que va se dérouler notre histoire. Pour célébrer le Jour de l’astéroïde, cinq adolescents reconnus pour leurs prouesses scientifiques débarquent, avec leurs familles, à Asteroid City. Mais le soir de la cérémonie, un événement extraordinaire se produit : un extraterrestre débarque du ciel, vole l’astéroïde, et disparaît ! Panique au village, appel à l’armée, quarantaine déclarée : voilà la petite bourgade et ses visiteurs dans de beaux draps.
On pourrait presque y croire, mais ne vous y méprenez pas : Asteroid City n’existe pas. C’est une pièce de théâtre inventée. Comme souvent chez Wes Anderson, tout commence par une mise en abyme et la voix (off) d’un narrateur. En l’occurrence ici, celle de Bryan Cranston, qui nous invite à assister aux coulisses de cette création théâtrale spécialement conçue pour l’occasion. Le film alterne ainsi entre la pièce, qui prend forme sous nos yeux en format Scope et en couleurs, et les coulisses de celle-ci, au format carré et en noir et blanc. Deux salles deux ambiances, pour un film qui aborde d’une part le rapport au deuil et à l’inconnu, et de l’autre les affres du processus créatif. Des thèmes que le réalisateur texan a déjà évoqué, de la fratrie endeuillée du Darjeeling Limited (2007) aux gamins dont l’intelligence n’a d’égal que la timidité (Rushmore (1998), La Famille Tenenbaum (2001) ou encore Moonrise Kingdom (2012)). On retrouve aussi cette façon d’approcher le drame avec un humour désabusé. Et comme d’habitude, le cinéaste s’entoure d’un casting éclectique (Jason Schwartzman, Scarlett Johansson, Steve Carell, Adrien Brody…).
© Universal
Après l’Europe des années 30 (The Grand Budapest Hotel), le Japon (L'Île aux chiens) ou la France des sixties (The French Dispatch), Anderson explore cette fois deux lieux, issus de l’imaginaire américain des années 50 : d’un côté le Far West, ses paysages arides et ses nuages blancs – traces de poussière ou d’essais nucléaires. De l’autre, Broadway, ses théâtres new-yorkais, son tramway nommé désir et ses chignons blonds façon Marilyn période Arthur Miller. Deux univers que le cinéaste compose toujours minutieusement, de la géométrie étudiée des plans à la BO rétro en passant par de multiples détails à déceler dans le champ. Cette surcharge est à la fois ce qui fait le charme et la force du film, mais aussi sa limite – car dans les derniers opus d’Anderson, la forme l’emporte, de loin, sur le fond.
Moins speed que The French Dispatch qui compilait plusieurs récits à vitesse grand V, Asteroid City parvient à atteindre une (certaine) lenteur quand il aborde les troubles intérieurs. Les scènes où Augie Steenbeck (Jason Schwartzman) annonce le décès de leur mère à ses enfants, ou flirte à travers la fenêtre avec Midge Campbell (Scarlett Johansson) mêlent humour et mélancolie d’une façon particulièrement réussie. Dommage qu’à côté une partie de l’intrigue se perde dans un chaos de détails et de digressions (le comédien français Damien Bonnard est au casting : récompense à la clé pour qui saura le trouver). Le casting surchargé et la multiplicité des lieux et thèmes maintiennent le film dans une certaine superficialité. Par ailleurs, ces dernières années, l’émotion chez Anderson surgit brièvement du passé, à travers le souvenir d’une femme inaccessible, souvent décédée (ici Margot Robbie, Saoirse Ronan dans Budapest Hotel et French Dispatch).
Aventure cosmique méta et comique Asteroid City, illumine la rétine en nous plongeant, comme toujours, dans un monde à part parfaitement agencé dont seul son créateur a le secret.
Elli Mastorou
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