Athena
5.6
Athena

Film de Romain Gavras (2022)

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Là ça va devenir intéressant.
Là on va enfin pouvoir se rendre compte si, depuis le départ, on parlait vraiment de cinéma…
…Petit rappel des faits.


En août 2021 sortait BAC Nord de Cédric Jimenez ; un film qui avait cristallisé les passions, les lectures, mais aussi et surtout les mauvaises fois.
« Bien évidemment qu’on n’a pas seulement encensé BAC Nord pour la seule image spécifique qu’il donnait des rapports Police/cité ! Bien évidemment que ça n’a rien à voir avec les biais induits sur l’affaire de 2012 ! Et bien sûr qu’aucune considération politique – conscientisée ou non – ou émotionnelle – conscientisée ou non – n’a régi notre jugement ! Ce sont les qualités cinématographiques que nous encensons ! C’est le cinéma qu’on entend honorer avec BAC Nord… »
Eh bien soit. Voyons ça.
Que l’on voie à présent cet Athena et qu’on en reparle après.


Si je me permets de mettre ce troisième long-métrage de fiction du Romain Gavras en comparaison avec BAC Nord, c’est forcément parce que j’estime que de cette juxtaposition là il se dit quelque-chose. Quelque-chose de très cinématographique.
Pour qui a été bouleversé par le montage nerveux, les shaky cams et les jeux d’acteurs tout en hurlements du film de Jimenez, qu’il aille se régaler avec Athena car avec la dernière réalisation de l’ancien auteur des Koutrajmé on a bien tout ça mais tout en naviguant clairement bien au-delà.


Dès la première scène, l’ambition est affichée. Plan séquence long et incroyablement dense à la façon d’un bon vieux Hard Boiled ; puis enchainement de travelings qui entendent poser là toute une richesse de composition : dans ces images d’émeutiers mélangeant gilets pare-balles et survêts de foot ; dans ce fourgon escorté de motos cabrées ; dans ces premiers échanges musclés faits de lumières, d’uniformes fluo et de feux d’artifices.
Chaque plan, chaque moment, est un geste riche de sens ou de sensation.
Ça joue en permanence sur des variations de rythme, de valeurs de plan ainsi que sur les sons afin de produire de l'élan, de l'espace et du sens.
Ce film n'a d'ailleurs pas peur d'oser la figuration, oscillant d'un côté entre une iconographie de cité médiévale tenue par ses héros légendaires et assiégée par des tours d'assaut d'où déferlent des chevaliers en cuirasse, et de l'autre avec celle d'un monde en plein effondrement, tel un apocalypse religieux depuis trop longtemps annoncé.
En cela, Athena est un moment d’exploration formelle permanent – un remarquable exercice de création d’espace et de recomposition régulière des représentations et – rien que pour cela – il devrait être loué pour sa démarche.
(D'ailleurs, par rapport à cela, j'attends dans l'espace commentaires les esthètes de BAC Nord… ;-) )


Mais là où Athena mérite vraiment tout notre intérêt, c’est quand il s’engage sur la voie du film radical ; ou plutôt lui préfèrerais-je le terme de forcené.
A une époque où l’art s’empâte et se ramollit de par ce terrible embourgeoisement des esprits auquel nous assistons actuellement, l’acte cinématographique posé par Romain Gavras présente ce grand avantage de se risquer à une vision inconvenante des choses.
Par Athena, Gavras entend renouer avec ce qu’on sait louer chez les trublions d’hier mais qu’on n’accepte jamais chez ceux d’aujourd’hui. Il offre sa déclinaison du cinéma social d’actualité, son interprétation d’une certaine forme d’anticipation.
Contrairement à Jimenez il ne prétend pas raconter une histoire vraie pour justifier et légitimer sa fantasmagorie. Non. A la place le thriller de Gavras entend se poser par lui-même comme une fantasmagorie, jusque dans son nom riche de sens.


Athéna. Déesse de la sagesse et de la guerre à la fois. Association antinomique au possible. Association à l’image du film de Gavras.
A la fois goût de sale gosse pour la révolte mais aussi regard lucide sur l’issue du chemin emprunté.
A la fois culture de l’excès mais tout en cherchant en parallèle à domestiquer ces impressionnantes vagues humaines de chaos.
A la fois élan frénétique qui n’entend pas s’arrêter mais tout en ayant un désir de saisir et magnifier avec une certaine exhaustivité la diversité des lieux et des vies qui constituent les quartiers populaires.
Et s’il fallait d’ailleurs chercher une faiblesse à ce film selon moi, elle serait sûrement dans ce dernier point-là…


Quand bien même sent-on Gavras animé par une véritable envie de faire son Misérables forcené (la présence de Ladj Ly à ses côtés au scénario aidant) qu’on le sent néanmoins prudent et attentif dans ce qu’il montre et représente.
Et s’il a été habile d’avoir cherché à varier les approches, les regards et les représentations par rapport à une même situation insurrectionnelle, la volonté de l’auteur à vouloir absolument ménager la chèvre et le chou tout en évitant les généralités l’a amené parfois à faire des choix un brin artificiels qui peuvent nuire à la cohérence et à la fluidité de son ouvrage.
En cela, la famille des quatre frères peine parfois à asseoir sa crédibilité…


Que l’un soit militaire quand l’autre est dealer de drogue, ça fait quand même vraiment catalogue du non-amalgame.


…Tout comme l’existence d’un seul personnage secondaire suffit à lui seul à briser l’illusion ; rappelant notamment un peu trop expressément le caractère artificiel de la composition d’ensemble…


…Et là je pense au djihadiste Sébastien, lequel ne semble exister que pour justifier les excès du final.



D’ailleurs, c’est aussi sûrement à cause de ces fragilités narratives en termes de personnages que ce film perd un peu de sa force sur son dernier quart.
Retournements, comportements et résolutions tirent un peu trop sur la corde et c’est la subtilité et l’élan qui en définitive s’en retrouvent perdants.
Ç’en est d’ailleurs au point que j’en vienne à considérer les deux dernières scènes du film comme totalement inutiles tant elles diluent l’ensemble pour ne rien apporter d’intéressant en contrepartie…


La scène d’explosion de l’immeuble, personnellement, je la trouve totalement superfétatoire, quant à la révélation finale au sujet des vrais responsables de la mort d’Idir je la considère même comme totalement contre-productive.
Qu’est-ce que ça peut bien nous foutre que les véritables responsables de tout ça étaient bien des militants d’extrême-droite ? La piste avait déjà été évoquée dès la moitié et c’était suffisant. Le fait de l’acter en conclusion n’a conduit qu’apporter un aspect très « au final la menace ce sont les fachos » qui en rendrait presque cette conclusion balourde et un brin bêbête.



Malgré tout, ces quelques limites que j’ai pu trouver à ce film ne retirent pour autant rien aux qualités que j’ai pu évoquer plus tôt.
A la fois vision plus audacieuse et jusqu’au-boutiste que les Misérables, mais aussi à la fois composition plus symphonique de BAC Nord, cet Athena complète au fond très bien les récentes propositions cinématographiques qui ont pu être faites au sujet de la question des banlieues, apportant notamment cette touche de jusqu’au-boutisme qu’il manque parfois au cinéma d’aujourd’hui. Et que Gavras se soit décidé de le faire sous la forme d’une offensive formelle et narrative démontre à mes yeux tout le bien que cet auteur apporte à notre cinéma…
…Et si bien évidemment tout un chacun sera en droit de ne pas se retrouver dans cette proposition offerte-là, qu’au minimum on sache reconnaitre au bon Romain la grande audace de ses choix.

lhomme-grenouille
8

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le 24 sept. 2022

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