S'il est vrai que le triptyque de Wenders duquel Au fil du temps constitue le dernier volet est appelé La trilogie de l'errance, il faut surtout garder en tête que l'errance est un des thèmes phares de la filmographie de Wim Wenders, l'un des chefs de fil de cette génération de jeunes cinéastes allemands qui redonnèrent ses lettres de noblesse au cinéma allemand à partir des années 70. On peut le voir à travers les nombreux points communs entre ce film et Paris, Texas, road movie américain sorti 8 ans plus tard (et accessoirement le seul Wenders que j'ai vu avant, mais Alice dans la ville et Les ailes du désir ne sauraient pas tarder).
Mon goût prononcé pour les road movies a sûrement grandement influencé mon appréciation du film qui est tout de même très long et très lent, mais ce n'est que par ce procédé que Wenders parvient à rendre crédible cette étrange histoire d'amitié grandissante. Les dialogues sont rares et précieux, brillamment écrits, la mise-en-scène est belle et si Wenders se permet quelques scènes peu ragoûtantes qui ne nous épargnent rien (un homme qui défèque sur le sable, un autre qui s'adonne au joie de la masturbation...) cela n'est au final ni dérangeant ni choquant tant l'approche du film est sobre et se distingue par son manque de prétention.
Ici, Wenders n'impose pas mais distille une réflexion subtile sur le cinéma de l'après-guerre, les souvenirs et le temps qui passe qui sont des thématiques qui collent parfaitement avec le road movie et son côté errant. Tout a une justification ici, de l'aspect extrêmement répétitif du film aux instants de ruptures, particulièrement ceux qui s'opèrent chez les deux héros. Ainsi, le film est évidemment ennuyant par moment mais ces instants où notre esprit s'échappe du film et flotte au-dessus pour ainsi ne plus le percevoir mais le sentir sont indispensables pour rendre complète l'expérience d'un tel film.
Après Paris, Texas qui affiche une parenté évidente avec ce film, Au fil du temps me confirme que Wenders est un cinéaste qui me plaît et qu'il me faut continuer l'exploration de sa filmographie. Enfin, comme ce fut le cas avec Paris, Texas qui était accompagné de la magnifique composition de Ry Cooder, Au fil du temps bénéficie également d'une bande-son extraordinaire à base de rock progressif et atmosphérique, comme on peut souvent en trouver chez les road movies (on pense à Dead Man de Jim Jarmusch hanté par les riffs de guitare de Neil Young).