Ceux qui reprochent au cinéma français de n'être de plus en plus qu'une histoire de famille ne pourront pas être contredits ici. « Au galop », c'est un film de potes, de parents, de collègues, une comédie dramatique bien de chez nous qui empile les têtes connues ou en passe de l'être. On a donc d'un côté le duo émergent De Lencquesaing père et fille, au centre de toutes les attentions (le père réalise) ; de l'autre, une palanquée de seconds, troisièmes rôles (Keller, Aguilar, Podalydès, Beauvois) gravitant autour de leurs patrons pour leur donner toute la classe qu'ils méritent. Problème : le film, à la base, parle de l'amour entre un homme et une femme (Valentina Cervi). Pourquoi, alors, finit-il par se centrer sur un autre amour, filial celui-ci, où De Lencquesaing se plaît à se mettre lui-même en scène avec sa fille ? Ce n'est pas nouveau, les deux sont habitués à jouer ensemble sur les planches (Harper Regan) ou au cinéma (Le Père de mes enfants, Polisse). Ils forment un couple émouvant, spontané, réel, authentique, comme si le métier d'acteur coulait dans leurs veines. C'est toujours bête à dire, mais voir ces deux-là à l'écran a quelque chose de touchant, et ils commencent à le savoir. Leur couple vole la vedette aux autres, ce n'est pas un couple fondamentalement neuf, le film n'est même pas force de proposition de quoi que ce soit à leur sujet : il les met en scène, simplement, à la manière d'un premier film, parfois maniéré, souvent vrai, où la suffisance autosatisfaite du père contraste avec la candeur émerveillée et merveilleuse de la fille, où deux caractères à la fois si opposés et si proches se côtoient, se charrient, se fâchent puis se réconcilient dans toute la vanité et la frivolité d'une vie française.

A vrai dire, la plus grande qualité d' « Au galop » est aussi sa caractéristique la plus évidente (et son défaut qui le condamnera aux yeux du plus grand nombre) : il est français. Il est nombriliste, boudeur, éternellement insatisfait, paradoxalement bipolaire et prévisible, compartimentant la vie et la mort, l'amour et l'affection, la joie et la tristesse avec la grâce d'un formulaire administratif. Dans « Le Père de mes enfants », Mia Hansen-Love avait réussi à tirer du duo père/fille son plus beau trésor en les séparant définitivement, en les rendant étrangers l'un à l'autre : toujours dans cette logique bipolaire, mettre en scène la mort (le père) et la vie (la fille), puis laisser cette dernière se débattre face au dilemme terrifiant de la succession – de loin le film le plus fort des Lencquesaing, et qui le restera probablement. « Au galop » trotte en réalité plusieurs kilomètres en arrière, tout entier traversé par la cicatrice laissée par Hansen-Love, qui hante le film comme un fantôme, jusqu'à imprimer sur la pellicule de fugaces images d'horreur (étrange scène du rêve éveillé où s'affiche, le temps d'une fraction de seconde, l'image du père mort brandissant à pleines mains son propre cœur). On parle d'amour, donc ; mais aussi, et surtout, de filiation, et c'est bien cette obsession complètement égocentrique qui impose son assise à tout le film, celle de mettre en scène sa fille, puis de tirer de nouveau la couverture à soi, de diffuser l'image d'un père cool et ouvert qu'il ne s'agira, cette fois, jamais de remettre en question.

En termes de dynamique, de plastique, d'identité générale, le film est assez quelconque, vaguement embourgeoisé et mélancolique. En termes de fond, il recherche toujours le consensus, s'aventure parfois à reculons dans quelques zones d'ombre qu'il s'empresse d'éclairer par le sourire d'Alice de Lencquesaing. Dans la multiplicité des thèmes abordés, c'est ce semblant d'intérêt accordé aux autres que soi qui est troublant : les personnages sont beaux mais lisses, accablés du mal national de la tristesse sans nom, de la fatigue de soi et des autres. De Lencquesaing porte un amour presque exclusif à lui-même ; comme pour confirmer cette lassitude toute parisienne, l'amour qu'il tolère d'offrir s'adresse à une femme au doux accent étranger (tout sauf un hasard) qui semble ne promettre rien d'autre qu'une romance condamnée à l'échec. La morosité est cassée systématiquement par la fille, petit soleil explosant d'énergie et d'envie, à la fois complice et adversaire du père contre lequel elle refusera toujours de se battre face caméra. Ce n'est pas dans son scénario (un peu trop commun) ni dans son traitement (sans puissance) qu'il faut chercher l'intérêt du film, mais au contraire dans ses non-dits, son contexte. « Au galop » pose le problème de parler de soi et à soi dans un milieu gouverné par quelques têtes couronnées ; d'y inclure, à la manière d'un petit roi, sa propre progéniture qui un jour sera appelée à régner. L'essentiel du discours est là, dans cette belle complicité père/fille dont on devine les limites, dans cette déviation du thème initial vers une sorte de chronique, l'état des lieux d'un esprit, d'une caste, de ce petit rêve inaccessible et doucereux (qui est celui de tous) où l'on réussirait à intéresser les autres simplement en parlant de soi.
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le 22 avr. 2013

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Seb C.

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