Les premières scènes sont muettes et démontrent toute la maestria de la réalisatrice qui sait nous parler sans avoir besoin de paroles. Elle sait utiliser l’image à bon escient, elle sait filmer ses acteurs, elle sait planter un décor. On sent l’expérience et le talent qui va avec, cela ne fait aucun doute. La très belle musique du groupe Tindersticks complète merveilleusement ses images. En avançant un peu on comprend que le film a trois piliers malheureusement de tailles inégales : les acteurs, la metteuse en scène et la scénariste, Christine Angot, qui adapte ici un des ses romans.

Je commence par le plus bas. Le scénario. Pour moi c’est là que la bât blesse. Mélangez Les Choses de la vie, avec un brin de César et Rosalie, agitez avec quelques chapitres de Madame Bovary, saupoudrez le tout de dialogues sans relief. Sarah aime Jean, Jean aime Sarah, Sarah aime encore François, l’ami de Jean et ex-amant de Sarah. Voilà, voilà, comme disait Jean Gabin en lisant un scénario sans saveur : « Pas de quoi arrêter un train de marchandises ». Affronter un Gustave Flaubert au top de sa forme ou un Jean-Loup Dabadie en état de grâce ce n’est pas du gâteau, il faut bien le reconnaître, mais Christine Angot a une réputation d’écrivaine à défendre que diable, faut vraiment qu’elle se déchire pour leur tenir la dragée haute. Ici on est loin du compte.

Claire Denis agence le tout avec une intelligence indiscutable même si quelques scènes sont franchement ratées, en particulier une scène de sexe d’un ridicule achevé qui restera dans les annales (!) des scènes ridicules de l’histoire du cinéma français. Tellement ridicule que je m’interroge : Claire Denis veut-elle prouver au spectateur qu’elle n’a peur de rien en tournant volontairement une scène « à la Godard » en réactualisant celle de la petite chambre d’hôtel d’A bout de souffle où Belmondo et Jean Seberg sont sur le lit ? Mystère et boule de gomme, à vous de juger.

Les acteurs. Là on a du lourd, du très lourd. Le pilier costaud qui supporte l’édifice. Juliette Binoche et Vincent Lindon, un duo qui impressionne la pellicule rien qu’en les citant. Cependant, c’est un point de vue que je partage avec moi-même, je trouve que l’actrice dépend toujours du film dans lequel elle joue, quelquefois ça fait Flop, alors que pour l’acteur c’est le film qui dépend toujours de son interprétation et ça fait toujours Bingo. Depuis une bonne dizaine d’années, Lindon est devenu grand, très grand, c’est un peu notre Marlon Brando à nous, il sait dispenser ses silences, ses regards, ses colères, ses sourires. Les dialogues c’est du bonus pour un acteur de cette carrure.

Lindon peut jouer Rodin, un chef de gare, un marchand de sable, un plombier ou un clochard, il est toujours juste, sincère, avec cette pédale douce que seules les grands comédiens possèdent. Avec amour et acharnement lui doit sa plus belle scène, celle où il sermonne son fils, un jeune métis de quinze ans complètement paumé. On retrouve durant quelques minutes le vrai Vincent Lindon, sensible aux méfaits du capitalisme et de la lutte des classes, presque gêné d’être devenu ce qu’il est quand d’autres galèrent pour boucler leur fin de mois et avoir une place honorable dans la société. Dans cette scène il sort du cadre trop étroit du film, il transcende le dialogue, on sent qu’à ce moment précis l’acteur peut prendre possession de cette histoire pâlichonne pour en faire quelque chose de puissant. Mais Lindon n’a pas la main et on reste dans un film d’auteur, avec ses bons et ses mauvais côtés, un film pour les festivaliers de Cannes, de Venise ou de Berlin, amateurs de projections privées avec buffet gratuit et standing ovation. N’oublions pas les pros de la critique qui se régalent en se lisant, je cite celui de Première : « Les cris du corps divergent avec les cris du coeur, les feux mal éteints du passé viennent embraser le présent et embraser le futur, le tout dans un parfait équilibre entre cérébralité et traduction physique ». Pour paraphraser Maître Folace, le notaire des Tonton Flingueurs, on pourrait dire : « C’est curieux, chez les journalistes, ce besoin de faire des phrases ». Et des phrases, Lindon n’en a pas besoin. Il faudrait qu’il rencontre le Sean Penn de The Pledge ou le Martin McDonagh de Three Bilboards pour vraiment traverser l’écran et entrer au Panthéon du cinéma, avec toute l’humilité qui le caractérise bien sûr, c’est tout le mal qu’on lui souhaite. Rien que pour lui ce film mérite d’être vu. En attendant mieux.

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le 25 mars 2024

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