Erratic movie
Contrairement à ce que laissent supposer les arguments développés lors de la promotion du film, orchestrée principalement autour de la présence symbolique et dénudée de Nicole Kidman, Babygirl n’est...
Par
le 15 janv. 2025
39 j'aime
13
Après la Good Girl, fantasme bien-pensant de la bourgeoisie, voici venue la Gode Girl de 60 ans, nouveau sex-toy pseudo-subversif d’une société en mal de Barbie à Baiser.
Le cliché de la femme de 50 ans, bonne à jeter, ménopausée et blacklistée du paysage audiovisuel et des blockbusters américains semble périmé. Semblance ou vérité ?
Deux films récents The Substance de la française Coralie Fargeat et Babygirl de la néerlandaise Halina Reijn paraissent venir renverser l’injonction sociale du jeunisme proposant des rôles sulfureux et capiteux à deux actrices plus proches des 60 que des 20.
Toutefois, il n’est pas anodin que ce soient des réalisatrices femmes qui tentent cette subversion des normes en vigueur.
Par ailleurs, il n’est pas certain qu’elles ne soient pas en train de fabriquer une futur mode ou diktat : celui de la soixantenaire, nouveau sex-toy, remplaçant donc un cliché caduque biberonné au masculinisme par un autre plus fringant et louche parce qu’ahurissant et trouble, validé par un féminisme combattif.
Halina Reijn et Coralie Fargeat, sous couvert de filmer avec finesse et frontalité la jouissance féminine, confrontent leurs actrices (Nicole Kidman et Demi Moore) à la cruauté d’une frustration, la leur (celle de l’image déchue ou abîmée d’elles-mêmes qu’elles doivent endurer par cinématographies et médias interposés), celle d’un narcissisme en berne. Ces cinéastes ravalent les fantasmes masculins pathétiques et médiocres pour les resservir et les réassigner à un hardi cliché : la soixantenaire plus que bandante, mieux gaulée que la jeune, plus que vive. L’apparition sur le marché des objets sexuels donc d’une typologie : la Gode Girl.
La girl-miché, nichée au sein de la ville-cirque, la dildo par influence de l’anglais, faisant office de dépotoir pour les miches à fantasmes sado-maso les plus ringards.
Dans ces deux films, notons que les réalisatrices font passer à leurs actrices une scène fétiche, sorte de bizutage dru et cru du réel de la fifty-sixty Gode Girl : la scène du miroir. Il faut voir Demi Moore ne cesser de scruter son apparence en décomposition/recomposition à travers la glace face de son loft, il faut voir Nicole Kidman traquer sous l’étrangeté de la chirurgie esthétique les (absences) de rides dans le miroir de sa chambre. Ces scènes sont des lèvres. Des scènes au bord d’un jouir ou d’un mourir. Quelque chose s’y passe de profondément débilitant, morbide. Perturbant. Annonce stupéfiante que le cliché selon lequel la femme de 50, voire de 60, est bonne à la décharge n’a pas fini sa licence.
Il se voit juste voilé, recouvert d’un leurre. La femme de 50/60 est bonne à la décharge sexuelle. Ça oui. Bon Dieu. Good Girl. Gode Girl. Bonne à mourir. Yes. La vérité reste aliénée à l’image dans la glace. Féroce, glaçante, meurtrière.
La femme de 50/60 aujourd’hui n’a plus son âge. Elle est en deçà. Adossée au ça freudien. Au-delà. Surmoi de toutes les fillettes. Elle se reconnaît viralement, sous les linceuls de la jeune fille. La femme de 50/60 aujourd’hui est la jeune fille, symbolique de tous les journaux féminins et la jeune fille phallique d’époques qui ne peuvent plus – après Me Too – sacrifier leurs filles de 15 ans.
La sixty-fifty doit être celle qui a tout dépassé, tout cramé de ses échecs-succès familiaux ou professionnels, plus rien à prouver, une chamane du désir. Entre deux mondes. Celui de la perte de ses splendeurs passées et celui, vain, du face-à-face avec l’au-delà du principe de plaisir. Alerte et prête. À la table rase. À la renaissance. À la meilleure version d’elle-même ou à la domination sado-maso.
Devant sa glace, elle fait sa glass-skin. Elle s’essaye au vide. À la toise du rien. Fixe sa mort. Ainsi donc le cinéma va à nouveau la faire servir, sévir et s’avilir.
On reprend les mythes pourtant abolis, questionnés et grinçants de Sharon Stone non avertie de la caméra filmant son sexe dans Basic Instinct, de Maria Schneider non avertie de la scène de simulation de viol dans Le Dernier Tango, on ressaisit tous ces vils instincts de domination, séduction-réduction et prédation, effets d’un patriarcat hégémonique, on prétend les recycler et les battre en brèche, accomplir des actes féministes à travers des films d’affirmation d’une féminité détruisant les oppressions et l’on répète en vérité le mécanisme d’asservissement des femmes au bénéfice d’une soi-disant émancipation chic et subversive.
Si nous dessillons un instant notre regard, par-delà toute perspective moralisatrice, que voyons-nous qui sidère dans The Substance et Baby Girl ? Deux actrices qui respectivement, Moore et Kidman, s’infligent (sous prétexte qu’elles sont filmées par des femmes affranchies, militantes de la cause féministe) des actes de soumission sado-masochiste. L’une pour rajeunir et viser la jeunesse éternelle, l’autre pour enfin vivre un orgasme et jouir pour de vrai. Dans les deux cas, elles réinstrumentalisent leurs jouissances à l’aune du désir de la masse mâle et du peuple mal. Elles se mettent à nu pour être mises à mort. Cruellement. C’est sans faux-semblants dans The Substance. C’est sous-tendu et maquillé par un happy-end pour Babygirl. Mise à mort de la femme bafrée, blâmée, bafouée. Baisée.
Bref, sous le feutre/alibi d’aller investiguer la jouissance féminine, deux actrices et pas des moindres acceptent avec brio et vertige de jeu ce qu’un siècle de féminisme a essayé de supprimer : la réification de la femme, son instrumentalisation et rabaissement aux impératifs vulgaires du Capital-Phallus.
Le cinéma change juste de paradigme, pas de matrice. On ne peut plus assassiner impunément les jeunes filles, allons chercher leurs grands-mères. Et soumettons-les à la même agonie.
Pour lire plus c'est par ici: https://www.lemagducine.fr/carte-blanche/cinema-representation-femmes-50-60-ans-the-substance-baby-girl-10073957/
Créée
le 25 janv. 2025
Critique lue 21 fois
D'autres avis sur Babygirl
Contrairement à ce que laissent supposer les arguments développés lors de la promotion du film, orchestrée principalement autour de la présence symbolique et dénudée de Nicole Kidman, Babygirl n’est...
Par
le 15 janv. 2025
39 j'aime
13
Aussi délicat qu’un éléphant dans un magasin de porcelaines, Babygirl cultive le scandale, mieux se donne à voir comme intrinsèquement scandaleux. Il n’a d’intérêt que sociétal, en tant que pierre...
le 10 janv. 2025
21 j'aime
4
Troisième long-métrage réalisé par Halija Reijn, cette actrice néerlandaise reconnue, après Instinct : liaison interdite et le récent Bodies, Bodies, Bodies, Babygirl poursuit dans la représentation...
Par
le 17 janv. 2025
14 j'aime
11
Du même critique
Dans 8 épisodes de 11mn Julien Gaspar-Oliveri filme à bout portant avec une sensibilité effrontée et une vigueur incisive une dizaine de jeunes lycéens dans un atelier théâtre.Ce qui est remarquable...
le 2 oct. 2024
13 j'aime
Avec culot, panache, un narcissisme structurant bien tourné donc ouvert à l'autodérision et à l'ambivalence, Judith Godrèche propose son retour à Paris fictionné en série "Icon of French Cinema"...
le 24 déc. 2023
13 j'aime
Après le splendide et inouï «Braguino », après là flamboyance nerveuse des « Indes Galantes », l’attente induite face au prochain film de Clément Cogitore était haute. Naturellement il faut pouvoir...
le 2 mars 2023
11 j'aime
1