Encore une bande-originale époustouflante pour Justin Hurwitz (ce qu'on a retenu de meilleur, et de loin, dans ce Babylon), un rôle ultra fun pour Brad Pitt (il s'éclate, et nous avec), un Diego Calva vraiment très sympathique (et identifiable, on découvre les coulisses du cinéma des années 20 en même temps que lui), une Margot Robbie (encore dans un rôle de barjot, pour changer) qui excelle à l'exercice (à force), et un Damien Chazelle qui n'a pas de limites dans le (volontairement) scabreux. On vous déconseille d'y emmener vos enfants (et encore moins la belle-mère). L'ouverture orgiaque se charge de faire le tri, tel le banquet lubrique d'un Satyricon moderne. Ainsi le cinéma des années 20 comptait son lot de décadence en coulisses, gonflé par la notoriété de ce nouvel art (un petit jeunot de moins de trente piges, qui balbutie encore, ne croit pas forcément en sa propre qualité, et ne cherche qu'une chose : le fric), qui était encore à cacher ses luxures dans des lupanars bourgeois avec l'argent des premiers films bons marchés (ceux-là mêmes qui ont pour la plupart disparu aujourd'hui), quand la chute, inéluctable, l'a rattrapé. Le bon temps ne dure pas, et une dure réalité s'est abattue sur la fiesta d'enfer, rideaux, on ferme M'sieurs Dames. Place à la nouvelle génération plus sage, conforme au Code Hays (la censure de tout ce qui n'est pas moral), et aux oubliettes les camés et les délurés. On comprend bien le titre : Babylone était une cité riche et rêvée (d'où son nom de "Porte des Dieux"), et sa chute a fait d'autant plus de fracas, de barouf, qu'elle touchait au sublime et à la légende, à ce qui dépasse l'Homme en tant qu'être mortel. Damien Chazelle, dans son amour fou furieux du cinéma, ose la comparaison, la rend éléphantesque (trop à notre goût : on se perd parfois dans le côté foutraque), et si l'on peut dire que les deux premières heures nous ont soufflé par leur rythme et leur passion des trucages du cinéma (le tournage du péplum nous a fait hurler de rire... "Les gars, soignez la patine des accessoires !", on en rit encore), la troisième heure, en cassure complète, nous a plongé dans l'ennui. On sort de deux heures de folie, d'ambition, de cynisme, de personnages "bigger than life" au bord de la rupture nerveuse, pour aller dans une suite de dialogues en plans fixes qui durent, avec des stars déchues qui s'ennuient, sans trop de cohérence narrative (on saute d'un destin de vedette à l'autre, sans logique), avec une scénette de "Descente aux Enfers" en compagnie de Tobey Maguire (un gros doigt d'honneur si vous veniez pour le voir : il n'a que cinq minutes de temps d'écran... On en a encore mal, pour nous qui l'adorons) qui verse dans le mauvais goût par gaminerie (Chazelle joue au pervers avec cette suite de tableaux "chocs", mais oublie l'intérêt-même de l'ensemble de la scène dans son film... On se demande juste ce que cela fichait là). A l'inverse, sa "Montée au Ciel" métaphorique mise en scène juste après est magnifique, on est donc dans l'inconfort le plus parfait devant ce film qui tantôt nous plaît beaucoup, tantôt nous ennuie (et pompe beaucoup sur la critique cynique du cinéma que faisait Chantons sous la pluie). D'ailleurs, on n'a pas pu s'empêcher de penser à la sublime mini-série Hollywood, sur les excès du cinéma vus par un nouveau venu qui veut faire ses preuves (un peu le même synopsis que Babylon, en plus sage), qu'on vous recommande pour compléter le sujet. Enfin, on dira que Chazelle est un petit filou, car il a compris que La La Land nous avait bien plu (sinon, que ferions-nous dans cette salle ?), et nous remet exactement la même fin (
le personnage qui va revoir son premier amour perdu, puis une suite de scènes rapides et enlevées sur tout ce que cet amour a à offrir - ici toutes les nouveautés qui formeront le cinéma à travers les âges - puis on revient sur le visage de notre héros, silence soudain, puis dernier coup de trompette final
). Oui, on a exactement le même déroulé, alors : hommage, ou coup de coude au fan ? Au final, Babylon nous fait passer par toutes les émotions, du rire à l'envie de se trémousser, y mêlant dégoût et ironie grinçante, mais aussi de l'ennui et une pointe de déception dans sa troisième heure. N'en reste pas moins que cette BO de Justin Hurwitz est une petite merveille. PS : Chazelle, si tu nous refais encore un seul plan-trompette, on renverse des tables.