Avec l'arrivée des nombreuses plateformes de streaming, la fermeture des cinémas pendant la crise de la COVID-19, la transformation des salles ou encore la sortie des nombreux blockbusters auxquels le spectateur a le droit chaque année, il ne faut pas vraiment chercher bien loin avant de trouver théoriciens ou passionnés de cinéma au point-de-vue réactionnaire se demander si "le cinéma c'était pas mieux avant / est-ce que le cinéma meurt ?". Mais ces questions sont néanmoins porteuses d'un élan symbolique pour certains cinéastes désireux de déclarer leur amour au cinéma (initié notamment avec l'excellent Once Upon a Time... in Hollywood de Quentin Tarantino en 2019), car en ce début d'année 2023, ce sont déjà 3 cinéastes qui en ont fait le sujet principal de leur film : Steven Spielberg, Damien Chazelle et Sam Mendes.
Bien qu'il ne s'agisse que de son 5ème long-métrage, Babylon sonne pourtant comme l'accomplissement ultime de la filmographie de Chazelle ; un mégaprojet évalué à 80 millions de dollars où ce dernier investit les années de l'entre-deux-guerres à Hollywood avec l'inévitable arrivée du cinéma parlant vécu au travers de 4 personnages : une star du muet (interprété par Brad Pitt), une jeune actrice ambitieuse (interprétée par Margot Robbie), un homme à tout faire (interprété par Diego Calva) et un trompettiste noir (interprété par Jovan Adepo). Mais si Babylon est sans aucun doute le meilleur film de Chazelle, c'est parce que ce dernier conjugue à merveille l'héritage de ses anciens films tout en ayant la brillante démarche d'en réinventer la forme.
Babylon est un pur concentré d'énergie et de chaos qui s'étend sur 3h et mis en lumière dès la magistrale séquence d'ouverture. Travelling, panoramiques, cut s'enchaînent, il y a là comme un aspect brouillon absolument jouissif où le cadre, en s'essayant à l'impossible tâche de tout capter à l'image ne même sait plus où se placer ; les corps s'entassent, se jettent dans des orgies, se droguent et dansent. Toute cette vulgarité et cette frénésie mélangées au rythme endiablé des musiques de Justin Hurwitz prennent d'assaut les plans afin d'emprisonner au cœur de la fête. Ce n'est d'ailleurs pas un hasard si la caméra de Chazelle finit par lier le spectaculaire à l'intime dans un même plan où l'immensité d'un plan large se termine sur une trompette en gros plan apparaissant comme un trou noir prêt à aspirer le spectateur.
Cette alliance pourrait d'ailleurs définir tout le propos du film, Babylon dépeint l'industrie hollywoodienne comme un trou noir se nourrissant des rêves et des espoirs de chacun sur le cinéma afin de les aspirer pour mieux les recracher. Ce dernier est donc autant un film sur la chute de ses vedettes que sur ses oubliés où le cruel traitement de son milieu fait que certains acceptent l'exploitation, les désagréments des tournages afin qu'un poignée d'autres brillent à l'image et ressortent glorifiés. Mais derrière cette épopée désenchantée sur le cinéma, Chazelle n'en atteste pas moins d'un touchant discours sur la gloire et sur l'acceptation d'un inévitable effacement face à un art qui nous survit et qui nous survivra toujours.
En atteste d'ailleurs les mots très justes du personnage de Jean Smart :
It's bigger than you.
Il y a eu, a et aura toujours une industrie du cinéma que nous soyons présents ou non. La gloire comme la chute ne dépend pas de l'acteur ou du cinéaste, mais de la manière dont la mémoire et la vision du cinéma changent et évoluent à travers le temps.