Damien Chazelle revient de l'espace pour raviver le décor qui avait fait le succès de son deuxième film, à savoir le Los Angeles et sa colline prestigieuse Hollywood.
Le réalisateur commence par mettre en image ce qu'on pourrait qualifier d'une orgie (visuelle et scénartistique) en osmose avec son titre. Un éclairage très chaud durant la scène survitaminée de la fête chez le producteur Wallach nous donne à voir une palette d'orange tirant sur le rouge, qui épouse les corps et la sueur, insufflant un érotisme palpable, conférant au spectacle un aspect fiévreux, une luxure presque outrancière, comme une réponse au teintes de bleu polies qui émaillaient La La Land. En somme, c'est Baz Luhrmann qui répond à Jacques Demy. Cette séquence est étirée sur près d'une demi-heure, n'épargnant rien à son spectateur en terme de débauche et de mise en image des « années folles » au cœur de ce qui n'était pas encore une industrie mondiale. Le tout est emballé avec brio (caméra virevoltante, acteurs déchaînés, imagerie grotesque et généreuse, partition musicale entraînante), donnant le ton du film tout en y insérant les enjeux propres à chaque personnage. Le scénario y serait presque un brin scolaire et convenu (et ce n'est pas la suite du film qui viendra contredire ce constat).
Les deux heures qui suivent tranchent en terme d'imagerie en convoquant un éclairage moins expressionniste, plus orienté par une lumière réelle qui reflète le réveil à la réalité de la plupart des protagonistes de ce film un brin mélancolique. Chazelle ne filme pas une époque révolue, il filme la transition d'une époque à une autre, à savoir les années folles aux années de raison, les années 20 aux années 30, du cinéma muet au cinéma parlant. Malgré tout, et ce même si la première séquence pré-générique se veut virtuose, débordante, trash et sans concession, matérialisant une époque (réélle ou fantasmée) avec autant d'économie de lieu et de temps que de débauches de moyens pour la faire vivre, je pourrais reprocher à Chazelle de vouloir presque trop en faire, ne laissant à son film que peu de temps à la respiration, peu d'espaces aux acteurs pour incarner leur personnage et les symboles qu'ils charrient dans leur sillage. Comme si la vague enivrante de la première séquence entraînait dans son sillage l'ensemble du film alors que ce dernier aurait paru sans doute plus dense si la rupture de ton avait été totale ou du moins mieux gérée. Tant de scènes paraissent mises en boîte en mode Formule 1 alors qu'une caméra posée, des personnages campés sur leurs deux pieds auraient insufflé plus de corps et de chair à un film que en manque cruellement pour ses deux derniers tiers.
Prenons par exemple le personnage de Brad Pitt (et cela vaut pour la quasi totalité des personnages, notamment Margot Robbie qui cabotine comme jamais sans faire réussir à faire vivre son personnage, ou bien le personnage black qui ne se caractérise que par sa manière de charrier son collègue et qui, comble du cliché, après avoir tenté sa chance à Hollywood, reviens à des amours plus simples). Celui-ci joue un homme perdu dans des relations amoureuses qui ne le satisfont pas, qui ricane à la face du monde alors qu'il aspire à plus grand, et qui rêve du brin de franchise nécessaire pour ne pas se perdre dans ce monde d'illusions. Dès l'introduction, cet archétype est posé, mais peu de choses viendront le faire respirer, le faire vivre, tant il est engoncé dans la geste esthétique trop calibrée, trop « figée » du réalisateur qui s'enferme un peu dans son concept et son idée première. Les changements de perception des protagonistes, quand ils existent, se noient dans un récit trop rapide, trop haché par la tyrannie du montage pour pouvoir émouvoir. Le scénario en pâtit largement, donnant l'impression d'un récit cadencé pour ne pas ennuyer (3h tout de même) mais oubliant que le cinéma n'est pas qu'un récit, c'est aussi la mise en image des émotions humaines, la captation d'une réalité (vécue ou rêvée). La musique quasi toujours présente renforce cette impression d'un film qui ne marche pas car trop attentif à sursaturer l'esprit de son spectateur et à le détourner de ce qu'il filme.
Reste tout de même quelques moments de grâce, notamment la scène de l'introduction du son sur le plateau avec la répétition sans cesse renouvelée de la séquence de tournage tant cette technique peu maîtrisée induit des couacs intempestifs. Très très grande scène (quasi sans musique, tiens tiens!), qui capte la matérialité de l'introduction du son à l'époque, mais qui atteint une sorte d'universalité en suggérant que le cinéma n'est fait que de ça, de pionniers qui inventent et d'une industrie qui suit, broyant les artisans qui essayent de faire vivre la boîte à rêves. Dommage que cette scène soit rattrapée par l'un des défauts majeurs du film, à savoir un acteur qui en fait des caisses en hurlant de manière outrancière. Tout un symbole. Sur ce, je vais revoir First Man.