Il nous arrive un mois après sa sortie américaine. Miné par les retours polarisés et surtout un flop spectaculaire, Babylon a tout du film hors-sol pour son époque. Gros moyens, gros casting, grande durée (3h09!) et méga-ambition. Laquelle ? Raconter la révolution cinéma quand le média est passé du muet au parlant, signant la fin des réjouissances pour une génération de stars. Le film couvre quelques années entre la fin des années 20 jusqu'au début des années 30 certes, en creux le lien avec notre temps est palpable. De toute évidence, Damien Chazelle a des choses à raconter et à dire. Si on peut concéder que son First Man a loupé une marche, le réalisateur se ramasse son premier vrai gadin cette fois-ci.
Reconnaissons d'emblée la grande orfèvrerie qui se dégage de ces 189 minutes. On lorgne du côté de Scorsese, Bogdanovitch ou Baz Luhrmann pour le style. Le meilleur surgit d'entrée. Ne manquez pas le premier acte car c'est le plus réussi. Une gigantesque bringue de presque une heure, où toutes sortes de fluides et substances défilent sous nos yeux le temps d'une soirée orgiaque et d'un tournage le lendemain en pleine gueule de bois. C'est fou, furieux et étonnamment puéril. Passé cette longue introduction, Babylon va perdre beaucoup de son éclat. Il reste bien la première scène parlante de Nellie LaRoy (Margot Robbie) qui ravive un peu cette folie, mais sinon c'est à un très bon Brad Pitt qu'incombe la tâche de maintenir le navire à flot. Malgré la durée fleuve, ce retour vers le passé ressemble au trajet d'un ivrogne dans une impasse. Trash voire scato mais surtout confus voire pénible.
Manny Torres devait être un relais pour le spectateur, ce qui est plus ou moins établi dans le préambule. Une petite main vouée à gravir les échelons au gré de ses rencontres et de ses passions. Ça se passerait bien si Chazelle prenait le temps d'en faire autre chose qu'un spectre, dégagé pendant de longs segments puis ramené afin de rappeler à tous son destin romanesque. Quand les transitions d'une étape à une autre de sa vie sont en plus nébuleuses, aucun risque de s'attacher. Aussi cinégénique soit-il, Diego Calva ne peut pas habiter ce personnage transparent, il passe donc la majorité du film avec un air d'ahuri. Compréhensible. C'est également le cas de Sidney Palmer (incarné par Jovan Adepo), passant du premier-plan au hors-champ sans que le protagoniste ait eu le moindre impact sur la narration. Quant à Margot Robbie, elle est cantonnée à une partition d'épave dansante cocaïnée, une prestation dans la droite lignée d'une certaine Harley Quinn.
Que cherche à dire Babylon ? Au départ, on pense à un passage à tabac d'un modèle hors de contrôle. Puis en fait non. La suite fait presque mine de regarder tout cette dépravation d'un œil favorable face à ce qui a succédé. On serait bien injuste de rejeter en bloc une ère au profit de la suivante, mais le couplet nostalgique n'aurait pas plus de sens. Peut-être est-ce le sens à dégager des dernières minutes, voyant les "victimes" d'une révolution réduites à un gag puis révérées mais cela est tellement boursouflé qu'on a plus l'impression d'assister à un essai mal construit sur un pan de l'Histoire du 7ème Art. En fin de compte, la séquence la plus puissante est probablement ce dialogue entre B. Pitt et J. Smart, qui évoque de manière douce amère la mécanique du temps. Pourquoi ne pas s'en être tenu là ? Un magnum dans lequel Chazelle a voulu faire plusieurs films en un, quitte à déborder. Ce qu'il fait, de toute part. Long comme un tunnel et lourd comme un pachyderme, Babylon s'est gonflé d'ambitions mais a juste réussi à éclater.