Voilà que débarque le dernier Damien Chazelle, précédé d'un flop retentissant aux USA. Pour ma part, je dois avouer que ce fut l'éclate totale en salles !
"Babylon" se déroule entre la fin des années 20 et le début des années 30. On y suit un groupe de personnages happés par la machine hollywoodienne, alors que le muet se transforme en parlant, et que les libertinages pré-code Hays vont disparaître.
Aux cinéphiles qui se plaignent du manque d'audace dans le cinéma, ou des conventions trop présentes : ce long-métrage est pour vous !
"Babylon" est avant tout très drôle, grâce à son humour diablement efficace. Vannes trash (ou pas) et montage aussi frénétique qu'abrupt à l'appui ! Damien Chazelle semble tout oser, livrant une œuvre orgiaque et virevoltante... mais parfaitement maîtrisée, et absolument ni stérile ni vulgaire.
Sur la forme, ça convoque pêle-mêle Fellini, "Eyes Wide Shut", Baz Luhrmann, "The Wolf of Wall Street", et évidemment "Singin' in the Rain". Film-étalon sur le sujet, explicitement référencé à plusieurs reprises. Mais également le "Caligula" de Tinto Brass ! On retrouve, en beaucoup mieux, cette décadence ambiante qui broie les personnages.
Et c'est surtout brillamment réalisé. La photographie et le grain de l'image m'ont évoqué le beau cinéma des 60's. La caméra se déplace avec aisance et fluidité dans un bazar ambiant (traveling et plans-séquence de malades !). Avec en prime une superbe BO, dont ce thème lancinant repris à la sauce délicate et dramatique, ou jazzy survitaminé.
Plusieurs séquences resteront à ce titre en mémoires, et se doivent d'être dégustées en salles.
Côté interprètes, Brad Pitt est touchant en acteur sur le déclin, au destin particulièrement ironique : grand défenseur de l'innovation, il subira de plein fouet l'arrivée du parlant. Diego Calva est une jolie surprise. Son personnage d'immigré voulant grimper dans Hollywood par idéalisme est clairement le plus attachant.
Margot Robbie est quant à elle excellente en actrice aspirante frappadingue, qui a ses propres rêves et qui y croie dur comme fer. Tandis qu'embaucher Tobey Maguire est un coup de génie. L'acteur n'apparaissant plus beaucoup devant la caméra, son passage renforce l'impression de voir un mort-vivant, suggéré par son maquillage et une séquence cauchemardesque...
Sur le fond, beaucoup de thématiques. "Babylon" est film riche et complexe. La fin du muet évidemment, mais aussi la fin des années folles et l'arrivée du conservatisme. Et une critique de Hollywood, machine cyclique qui broie les gens en effaçant leur identité... mais qui produit aussi de l'art et du rêve.
Car entre ses messages et son humour noir, le film est un violent et rigide doigt d'honneur à Hollywood... doublé d'une belle lettre d'amour au cinéma. Telle cette séquence de tournage au grand air, évoquant un chaos violent qui accouche miraculeusement de belles images. Ou ce final particulièrement émotionnel.
La projection pour le protagoniste de "Singin' in the Rain" était une mise en abyme risquée, le film étant déjà référencé partout. Mais elle fonctionne parfaitement, en miroir des spectateurs et des souvenirs du protagoniste.
Cependant, il faut avouer que pour pleinement apprécier "Babylon", il est préférable d'avoir quelques connaissances sur le cinéma. En particulier la période décrite (muet & pré-code).
Il faut également ne pas être réfractaire au trash... ou aux chroniques de 3 heures !
Les raisons probables de son cuisant échec aux USA. "Babylon", film audacieux et invendable... sera-t-il considéré dans quelques années comme le suicide artistique de Damien Chazelle ?