Damien Chazelle restitue avec une énergie électrisante et un appétit vorace l’envers du décor des tout débuts d’Hollywood. Le réalisateur des géniaux Whiplash, Lalaland ou First Man capture le tourbillon crasse de stupre, de drogue et de fête qui embrasait LA à l’époque, bien loin de l’image glamour véhiculée par l’usine à rêve. Il filme crûment la face cachée des premiers jours de l’industrie cinématographique, sans fard ni filtre. Il nous plonge dans la frénésie des tournages des films muets des années 20, ses dizaines de plateaux côte à côte dans le désert californien et ses figurants fangeux. Il nous guide dans l’hystérie des bacchanales des premières villas des Hills, où acteurs, producteurs, jeunes comédiennes et tous ceux que la lumière attire assument la décadence et la dépravation d’une corporation vivant (encore) sans règle ni limite. Chazelle nous offre quarante premières minutes ébouriffantes dont on ressort aussi lessivés qu’impressionnés.
Une affolante introduction donc, pour mieux poursuivre avec le récit de la fin d’une époque, celle du cinéma muet et de ceux qui le faisaient. Il résonne évidemment avec la période actuelle et la révolution des plateformes, mais l’angle de la mutation profonde d’un business est tout aussi pertinent pour raconter les personnages de Babylon et leurs destins brisés.
L’histoire de Nellie, Manny et Jack sert d’écrin à une mise en scène magistrale et étourdissante, éreintante même. Assénant une idée à la minute et un plan iconique tous les quarts d’heure, Chazelle ne pouvait pas rendre un plus bel hommage au 7ème art qu’en donnant naissance à un très grand film de cinéma, au montage sophistiqué et fluide, à l’image élégamment élaborée, aux couleurs chatoyantes et aux musiques entêtantes (parfois rebonds de celles de Lalaland). Il trouve dans son trio d’acteurs de formidables ambassadeurs. Margot Robbie fait du Margot Robbie, c’est limité mais excessif, donc parfaitement adapté à Nellie LaRoy. Brad Pitt prête à Jack son physique de quinqua bellâtre avec une douce ironie et un brin de nostalgie qui densifient sa performance, sans doute la plus émouvante de Babylon. Mais la vraie révélation est l‘inconnu Diego Calva, en jeune assistant immigré espagnol naïf, prêt à tout pour travailler dans le cinéma. Son Manny est le seul à avoir un minimum de recul pour voir le monde changer et évoluer lui-même.
Si le début du 3ème tiers est un peu moins réussi, le scénario s’égarant dans une intrigue secondaire trop éloignée de son sujet principal, la fin d’un monde et la mutation d’une industrie, Babylon n’ennuie jamais, surprend souvent, épate en permanence.
C’est une fresque grandiose qui déborde de cinéma et trimballe cette idée un peu naïve mais bien réel qu’il comme un Phoenix, renaissant constamment de ses cendres.
Avec Babylon, Damien Chazelle le fait vibrer intensément.