Admettons-le, l'histoire de Baccalauréat n'a pas grand chose d'original. Du moins si on s'en tient à son point de départ.


Une jeune fille brillante qui passe son baccalauréat doit à tout prix réussir l'examen avec mention mais, la veille de sa première épreuve, se fait agresser. Au delà du drame, les implications de son possible "échec" relatif (ne pas obtenir une moyenne de 18) sont absolument stupéfiantes. C'est là que le film de Mungiu se révèle passionnant, plus encore que celui qui lui a valu la Palme d'or il y a quelques années, 4 mois, 3 semaines, 2 jours. De banale chronique familiale, le film de Mungiu vire au drame social teinté de polar, avec l'inquiétude morale pour thème central.


Une forme d'inquiétude dont on se préoccupe peu dans nos contrées mais qui est, dans les pays dits de l'Est, au centre d'une thématique récurrente depuis le Décalogue de Kieslovski, et qui semble tenir une place de choix pour les cinéastes ayant vécu dans des dictatures communistes. C'est particulièrement reconnu en Pologne à la fin des années 1970 et au début de la décennie suivante. En s'appuyant sur la réalité, il s'agit pour les cinéastes de critiquer la déformation du système. Agnieszka Holland, Andrzej Wajda, pour les plus connus ont essaimé dans les pays voisins et laissé des traces encore présentes de nos jours.


Mungiu s'interroge intelligemment, sans jamais tomber dans le film à thèse, sur le fait de vouloir ce qu'il y a de mieux pour son enfant, soit la priorité de n'importe quel parent au monde. Bien évidemment, des circonstances particulières font que ce meilleur n'est pas le même suivant le pays où on vit et à quelle époque de son histoire : aux yeux de Roméo, le meilleur pour sa fille est d'abandonner sa Roumanie natale afin d'aller suivre son cursus et vivre sa vie en Angleterre.


La question du départ, Mungiu se l'est posée lui-même et compte parmi ce que l'on peut appeler la "génération sacrifiée". Une génération qui a construit cette démocratie toute neuve mais qui n'en profitera jamais car elle réalise qu'elle a été incapable de changer les choses en profondeur : les dysfonctionnements et les flottements des institutions mises en place sont ainsi au coeur des relations entre les différents personnages, tandis que les valeurs qu'ils ont défendues sont condamnées à l'oubli en même temps que leurs idéaux.


A travers les tribulations de Roméo cherchant à sauver l'avenir de sa fille Eliza tel que lui le conçoit, le spectateur est amené à s'interroger sur certaines pratiques, valeurs et la manière dont se construit une toute jeune démocratie encore peu sûre de ses valeurs et aux lois encore mal établies.


A quel moment le fait de rendre un service à son prochain se mue-t-il de la corruption ? Derrière un traitement calme en apparence, Mungiu laisse parler sa colère et son indignation, notamment lorsqu'il laisse entendre, de la bouche d'un policier, que la violence subie est "une chose qui arrive". Doit-on l'accepter et la subir sans réagir pour autant ? Face à un événement d'une injustice criante, comment se battre sans renier les valeurs qui nous ont façonné ? Même si elle est latente -la vitre du salon familial brisée par une brique lancée de la rue sonne comme une intrusion extérieure et une violation de l'intimité de la famille qui ne peut plus dans ces conditions se sentir en sécurité- laissée hors champ, la violence demeure omniprésente à l'esprit des personnages et rend l'existence amère, pour ne pas dire délétère, à ceux et celles qui ont espéré un avenir plus rose.


Quand s'entraider, être serviable sont des actes qui deviennent autant de fautes à ne pas commettre, voire des crimes qui surprennent le spectateur habitué au "tous coupables" inhérent à ce genre de réflexion, il semble légitime de se demander s'il vaut mieux abandonner sa patrie pour une vie meilleure ou persister à la défendre. Au lieu de souligner les mesquineries de chacun, ses arrangements avec la morale, le film questionne sur le "comment conserver ses valeurs quand le monde extérieur et la société dans laquelle on évolue n'en a cure ?". Mungiu, d'une grande humilité face à des personnages complexes, évite heureusement de donner des réponses toutes faites, préférant nourrir son film de réflexions percutantes.


Si Baccalauréat ne brille donc pas par l'originalité de son propos, il aura le mérite de l'exposer par une mise en scène précise autant qu'honnête. Aidé par l'interprétation remarquable de ses acteurs, Adrian Titieni et Maria-Victoria Dragus en tête (cette dernière étant connue pour Le Ruban blanc de Haneke), Mungiu réussit son pari haut la main. En exposant deux heures durant comment les vices, la corruption, les déficiences et les angoisses d'un pays gangrènent sa population, le réalisateur en tire la conclusion évidente mais nécessaire que l'avenir d'une nation appartient à sa jeunesse, et que la transmission des valeurs se doit de passer par une éducation solide afin de garantir leur préservation.


Edit : Écrit il y a un an, ce texte mérite une actualisation
Laura Kövesi gère efficacement la lutte anticorruption en Roumanie depuis deux ans.

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le 8 mai 2017

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