Si un jour, on m'avait dit que je me déplacerais au cinéma pour aller voir un film nommé Barbie qui ne soit pas sur le tortionnaire de Jean Moulin, mais sur la plus fameuse des poupées au monde, je ne l'aurais point cru.
Et pourtant Margot Robbie dans le rôle-titre (sérieux, je ne vois vraiment pas comment on aurait pu faire un film sur Barbie sans Margot Robbie... elle est Barbie !), et pourtant Ryan Gosling en Ken, et pourtant une campagne marketing savamment orchestrée ont fait que, suivant l'exemple de pas mal d'autres mecs moyens comme moi, j'ai demandé un ticket pour Barbie.
Greta Gerwig (bien servie par une direction artistique impressionnante de dingue... ah oui, les effets spéciaux sont très bien travaillés pour être incorporés dans cette imagerie !), avec une fantaisie pleinement assumée, foutraque, ne s'embarrassant donc pas de la moindre cohérence, a soigneusement constitué l'univers visuel de Barbieland (jusqu'au plus petit accessoire !), dans son côté vivement coloré girly, factice et plastique (les acteurs et les actrices y sont même imberbes pour renforcer l'impression de poupées Mattel sous forme humaine !), avec une ambiance pop de tous les instants (par le biais de numéros musicaux dynamiques, impeccablement chorégraphiés, avec ses acteurs, danseurs par la même occasion, se donnant à fond et avec ses thèmes entêtants qui squattent bien profond votre boîte crânienne !), ainsi qu'avec une profonde connaissance du sujet (comme le souligne la première partie du générique de fin !).
Ce qui crée un contraste avec un monde réel, aux teintes ternes, volontiers grisâtre. Je dis bien UN monde réel. En effet, dans ce dernier, il est définitivement acquis qu'une poupée de Barbieland puisse le pénétrer et le quitter pour retourner chez elle, comme les êtres humains peuvent y aller aussi. Ce qui met en relief que ce qui intéresse ici Gerwig, ce n'est pas de développer une confrontation de Barbie (et par extension de Ken !) au monde réel (elle ne dure que quelques minutes et ne sert que de déclencheur pour la grande majorité des rebondissements qui arrivent par la suite !), c'est de se servir de toute cette toile de fond pour apporter un discours sur le patriarcat (rassurez-vous, si vous n'avez pas les 999 premières fois qu'il y a un discours sur le patriarcat, il y a en une millième !).
Et à partir de là, on plonge dans des paradoxes fascinants.
Déjà, le tout peut paraître anti-hommes. Reste que l'on ressent de la peine pour le Ken principal de l'histoire (oui, comme il y a plusieurs Barbie, il y a plusieurs Ken dans ce film !). Celui-ci est malheureux parce qu'il ne vit qu'à l'ombre de Barbie, que pour Barbie au lieu de s'accomplir pour lui-même. En fait, Ken n'est pas une exception, car à travers d'autres personnages masculins, le récit fait comprendre que les femmes ne sont pas les seules victimes des injonctions du patriarcat.
Ensuite, il s'agit d'une publicité énorme pour Mattel, d'une ampleur exceptionnelle. Toutefois, la compagnie est représentée comme ayant mis en scène des valeurs féministes dans Barbieland, avec des femmes exerçant des métiers importants et prestigieux, tout en étant bien patriarcal dans le monde réel. Que la poupée n'influence en rien de positif la destinée de ses consommatrices vu que la réalité rattrape ces dernières. Donc la raison d'être de Barbie, c'est juste de faire des tonnes de thunes, en diversifiant au maximum les modèles (d'où le nombre énorme de professions différentes de la bombe en plastique !). Bon alors, Mattel s'offre une belle réputation d'entreprise, payée en bonne partie avec son propre pognon, acceptant la critique, avec un large sourire naturellement esquissé parce que le doux son du tiroir-caisse se fait constamment entendre.
Et pour finir, Greta Gerwig ne prétend pas apporter de solution définitive en ce qui concerne le patriarcat (découlant de celui-ci, les injonctions de beauté irréalistes et de comportement réclamées aux deux genres, au détriment de ces derniers !), puisque qu'en changeant tout, rien ne change (pour citer un peu librement Le Guépard de Luchino Visconti !). Si ce n'est qu'il y a toujours la volonté individuelle...
Pour en revenir à l'interprétation, Margot Robbie est fabuleuse. Elle réussit à jouer des mimiques exagérées comme une poupée sous chair humaine (yeux écarquillés, sourire aussi large qu'un cintre, gestuelle aussi appuyée que mécanique !), tout en leur donnant une belle vérité émotionnelle. Ryan Gosling, dans le même registre de la poupée, est plus expressif qu'il ne l'a jamais été (euh, par pitié, ne me balancez pas le sarcasme que ceci est loin d'être compliqué !) en idiot attendrissant ainsi que marrant et en amoureux friendzoné vulnérable.
Dans ce délire joyeusement bordélique, recouvrant le discours de fond et ses contradictions, Gerwig n'hésite pas à avoir recours au cinéma de Stanley Kubrick, aux Monty Python et au Magicien d'Oz, à Matrix, à Being There. Ce qui ajoute au plaisir.
Barbie est la preuve aussi prenante que bizarre que l'on peut faire une publicité sous forme de long-métrage, tout en poussant, bien au-delà du mercantilisme, à la réflexion et à l'analyse. Bref, Mattel est content financièrement, Greta Gerwig peut y défendre ce qui lui tient à cœur et le spectateur que je suis est comblé.