Ces remarques n’auraient sans doute pas vu le jour sans la promotion exubérante dont a bénéficié un film somme toute anecdotique dans son écriture, et sans – surtout – le discours critique qui l’accompagne. Que l’on réalise un film fantaisiste et gentiment creux sur le questionnement existentiel de Barbie et Ken, pourquoi pas, c’est un film d’été, on y va pour échapper à la chaleur et pour glousser devant l’autodérision de Margot Robbie et de Ryan Gosling, on a tous nos moments de faiblesse. Que l’on érige ce film comme le parangon du cinéma féministe moderne, en revanche, voilà que je me crispe soudainement. Je regarde ce film et, passée la première demi-heure qui aurait fait un correct court-métrage, je suis face à une œuvre qui ne fait qu’enfoncer des portes ouvertes, qui s’ingénie à faire de l’ironie sur le patriarcat mais qui n’ose pas donner une identité, une forme, voire même un visage à ce fameux patriarcat, et qui par conséquent ne prend aucun risque, et la réalisatrice en ce sens n’a pas pris en compte la dimension essentiellement polémique et donc dangereuse de l’ironie. C’est là je crois l’erreur fondamentale de Greta Gerwig : tout en montrant patte blanche à l’aide de deux, trois sketchs sur les vilains CEO, elle prend bien garde de contourner tous les points sensibles autour de la question de Barbie, car il est difficile de s’interroger sur le fameux patriarcat sans mettre en cause le modèle capitaliste en toile de fond − et de cela, il ne sera jamais question – et sans jamais non plus pointer du doigt la responsabilité de notre modèle consumériste, dont la principale cible depuis les années 50 est la femme – et là non plus, on ne va surtout pas mettre en lumière ce problème, il ne faudrait pas que les ventes de Mattel en pâtissent – et je ne parle même pas des conditions de production des Barbie et du merveilleux monde du jouet en plastique. Je subis ainsi pendant 1h40 une œuvre paresseuse − mais c’est ce qui arrive lorsqu’on passe plus de temps à promouvoir le film qu’à le concevoir – dont la supposée ambition s’est réduite à peau de chagrin. Rien de plus qu’une œuvre désespérément anachronique et politiquement lisse, qui n’a su hérisser le poil que de Fox News et qui n’a pas eu le courage d’attaquer la main qui l’a nourrie. Ce film, c’est le modèle capitaliste dans toute sa splendeur qui a trouvé le moyen de survivre à bas coût dans l’ère post-me too en se livrant sans scrupule, et avec visiblement l’aval du public, aussi bien au sens propre qu’au sens figuré, à du pink washing.