C'est le Gordon Douglas de la grande époque du western qui tente, en 1970, la synthèse entre le western spaghetti et le western américain façon Peckimpah dans cet original film où l'enjeu est la traversée d'un fleuve impossible sans l'aide d'un barquero, c'est-à-dire un conducteur de bac.
Le western spaghetti est représenté par Lee van Cleef toujours aussi taciturne et souriant que dans les westerns italiens.
Le western américain façon Peckimpah est représenté par Warren Oates qui a joué dans plusieurs de ses westerns.
L'astuce de Douglas Gordon est d'inverser les genres. Lee Van Cleef sera un "bon" et Warren Oates un "méchant psychopathe".
Mieux, les seconds rôles, en quelque sorte les adjoints de ces deux "représentants", seront :
- pour Warren Oates, le personnage de Marquette avec son costume maniéré avec des broderies avec chemise à jabot et à dentelle qu'on pourrait très bien trouver dans les westerns parodiques italiens.
- pour Lee van Cleef, le personnage de Phil Mountain, pur produit américain typique des westerns classiques, joué par Forrest Tucker, ancien trappeur, ancien cow-boy, personnage truculent comme il y en a eu tant dans les (vrais) westerns classiques.
De là à dire que Gordon Douglas a mis plus que du second degré dans ce brouillage de pistes et sa mise en scène, il n'y a qu'un pas que je franchis allègrement.
Le scénario fait donc s'opposer le barquero Travis (Lee van Cleef, vedette des films spaghetti) au gangster Jacob Remy (Warren Oates, ).
Travis, tel Cerbère, est le maître du fleuve puisqu'il détient la clé du passage du fleuve avec son bac. Et tel un bon maître, il devient le protecteur de la colonie Quaker quand la bande de gangsters s'approche du fleuve.
Face à lui, le gangster Jacob Remy avec sa bande de fripouilles qui vient de massacrer et piller avec brio une ville entière (dix bonnes minutes de mitraillade à la Peckimpah) se trouve immobilisé par un bête fleuve. De rage, à un moment donné, il en videra un chargeur dans le fleuve...
Deux autres personnages importants méritent notre attention. Ce sont deux femmes. Peu présentes dans les westerns spaghettis et les westerns façon Peckimpah. Par contre, habituelles sinon incontournables dans les westerns classiques.
La première, Nola, la compagne de Lee van Cleef est une femme de caractère, façon pionnière, mexicaine, dont on sent qu'elle peut se transformer en tigresse si on s'attaque à son bien. Mais qui en a vu d'autres et sait donc relativiser les choses.
La deuxième, Anna Hall, une femme de colon Quaker qui s'offre à Lee Van Cleef après qu'il ait délivré son mari. A peu près banal, dirions-nous dans le cadre d'un western ? Ce qui l'est moins, c'est, après cette scène, la discussion entre elle et un Lee van Cleef, repu et satisfait, qu'elle remet à sa place : "Quand j'étais dans l'Est, je rêvais de rencontrer ces hommes de l'Ouest capables de dompter la nature. Ils différaient de vous. (...) Vous êtes comme ces bêtes dont l'espèce est en train de s'éteindre. Moi, je survivrai et vous, vous mourrez"
Alors que lui, conquérant, venait de lui dire : "Quand je suis arrivé devant ce fleuve, le fleuve était comme une barrière et j'ai horreur des barrières. Celle-là, je l'ai abattue en construisant le bac".
La scène est courte mais signifiante.
Au final, "Barquero" est un bon western plutôt original qui se regarde avec beaucoup d'intérêt même si les travers du western italien sont parfois, peut-être, un peu trop présents (pour moi) : la musique tonitruante, les morts en pagaïe qui flottent sur l'eau, ...