Durant le tournage de Batman & Robin, la Warner Bros. est très impressionnée par les rushes et charge rapidement le réalisateur Joel Schumacher de préparer une suite. Schumacher engage Mark Protosevich pour écrire ce film sous le titre de Batman Unchained ou de Batman Triumphant. Le script fait de l'Épouvantail l'antagoniste principal alors que le Joker doit revenir en hallucinant l'esprit de Batman. George Clooney, Chris O'Donnell et Alicia Silverstone devaient alors reprendre leurs rôles respectifs de Batman, Robin et Batgirl. Le projet sera cependant arrêté à la suite des critiques négatives reçues par Batman & Robin.
Durant les prochaines années, Darren Aronofsky, Wolfgang Peterson ou encore Lana et Lilly Wachowski sont tour à tour contactés pour reprendre le projet Batman Triumphant.
Au début de l'année 2003, Christopher Nolan approche la Warner Bros. avec l'idée de faire un nouveau film Batman. Le réalisateur est fasciné par l'idée d'ancrer le film dans un univers réaliste qui rappelle davantage un drame classique qu'un fantasme de bande dessinée. Le studio va faire confiance à Christopher Nolan qui a déjà travaillé avec eux sur Insomnia en 2002.
La source d'inspiration majeure pour Christopher Nolan, c'est le Superman de Richard Donner. Ce qui peut surprendre au premier abord, ne l'est pas tant que ça en y réfléchissant un peu. Le mantra de Richard Donner était cette idée que, aussi surréaliste que les personnages puissent être, le film se devait d'être ancré fermement dans la réalité. Il devait réussir à nous faire croire qu'un homme pouvait voler et c'est exactement ce que Christopher Nolan cherche pour son film, pour lui il devait s'éloigner de l'onirisme gothique de Tim Burton. Il fallait que Batman, personnage extraordinaire, soit plongé dans un monde ordinaire, entouré de personnes toutes aussi ordinaires. Par ce biais, les spectateurs pourraient s'identifier aux citoyens de Gotham.
Néanmoins, Christopher Nolan n'a jamais été un spécialiste des comics et il ne se sent donc pas d'écrire le scénario tout seul. Il lui faut quelqu'un qui possède de vraies connaissances encyclopédiques du personnage et de son histoire. Il se met donc en quête de cette personne. Et c'est sur David S. Goyer que son choix va très vite se porter. Le scénariste était au scénario des deux films de comics Blade et Blade II qui avaient tous les deux eu leur petit succès. Néanmoins, le scénariste se prépare à réaliser le troisième film de la saga : Blade Trinity, et il est plus que compliqué pour lui de cumuler les deux. Malgré tout il finit par accepter de signer un premier script, l'attrait d'un film Batman étant beaucoup trop fort.
Christopher Nolan et David S. Goyer veulent créer un lien entre la mort des parents de Bruce Wayne et les chauve-souris. L'idée est que Bruce ait eu une expérience traumatique avec celles-ci et c'est ce trauma qui est réactivé devant l'opéra et qui va forcer la famille Wayne à quitter le cinéma, avant de se faire tuer par Joe Chill. Maintenant cela crée un lien entre Bruce, sa peur des chauve-souris et la mort de ses parents. Une boucle de névroses qui explique bien l'aspect troublé de Bruce et sa fascination de la peur pour ce premier Batman.
Batman Begins, sortie en 2005, est le plus grand projet entrepris par Christopher Nolan depuis le début de sa carrière.
Ce Batman est un chevalier d’un genre nouveau, Batman dont le film met en scène la création, à une confrérie vieille de près d’un millénaire, la Ligue des Ombres. Cette dernière recrute et forme des assassins d’élites, qui sont tous experts dans les arts martiaux et le maniement des armes, mais leur idéal n’a rien de commun avec celui de Batman. D’eux, Bruce Wayne apprend la maîtrise technique, mais n’y puise pas sa vocation. Même en le manipulant en se présentant comme un père de substitution nommé Henri Ducard, Ra’s Al Ghul échoue à faire de lui un assassin à sa solde, tuant sur son ordre et se faisant tuer si il refuse.
Bien que constituée en 1030 (selon les comics), la Ligue des Ombres n’est qu’une perversion de chevalerie. Les signes de la chevalerie sont là (armures, épées, droiture morale, allégeance, etc…), mais non l’idéal. Suprême perversion : Ra’s Al Ghul utilise le traumatisme de Bruce Wayne pour parvenir à ses fins, premièrement en prétendant se substituer à son père, deuxièmement en détournant sa colère vers des cibles choisies par la confrérie. La première est un voleur, devenu meurtrier de son voisin, que Bruce doit exécuter. Ce qu’il refuse, provoquant sa scission violente avec la Ligue. De la confrérie, Bruce Wayne retire les moyens de combattre le mal avec ses propres armes, adoptant ainsi l’armure noire des assassins et leurs techniques de combat, d’abord pour se venger du meurtre de ses parents, puis pour partir en croisade contre ce qui menace Gotham et ses habitants. Et comme tous les chevaliers, Batman sauvera régulièrement des demoiselles en détresse.
Christian Bale porte le masque et les gadgets de l’homme chauve-souris. Son interprétation est impliqué, elle colle parfaitement au personnage, aussi bien à Bruce Wayne qu'à Batman. Il a deux rôles bien distinct avec le playboy milliardaire et le justicier masqué. Son premier rôle consiste a joué le playboy philanthrope, mais c'est un rôle dans la réalité et dans la fiction. Car son vrai visage est celui du Batman : le symbole que personne ne peut blesser, la peur qu'il instaure au criminel. Pour devenir la peur, il a du gérer sa propre peur en devant l'homme chauve-souris.
Michael Caine en Alfred Pennyworth, Gary Oldman en James Gordon et Morgan Freeman en Lucius Fox sont tous les trois impeccables. Ils apportent quelque chose de très chic à Gotham, quelque chose qui accentue la différence de classe entre les habitants de Gotham et la ville elle-même. Seule Katie Holmes n'arrive pas à faire émerger son personnage, la pauvre est noyée sous le talent des autres.
Cette entrée en scène de Batman entraîne directement l’arrivée de son double inversé : Jonathan Crane alias L’Épouvantail incarné par le jeune et talentueux Cillian Murphy. Lui aussi a compris l’importance du masque pour asseoir son pouvoir. Ce psychiatre corrompu explique que ses patients focalisent leurs hallucinations sur une vision qui les tourmente. Dans son cas, il s’agit de la figure de l’épouvantail, qu’il amène en projetant des drogues hallucinatoires sur ses victimes, avant d’endosser son masque. Le parallèle entre Batman et l’Épouvantail se dessine alors : deux individus qui utilisent un masque et une double identité pour amener la peur chez autrui en utilisant la puissance symbolique d’un archétype. Entre la justice et l’empoisonnement, la frontière est mince. Sur ce point, notons que les deux premières apparitions de ces personnages ont pour victime le personnage de Falcone.
Les deux personnages masqués s’affrontent deux fois : d’abord, l’Épouvantail gaze Batman qui le surprend dans l’une de ses planques. La circulation entre les deux masques est alors marquée visuellement : si le masque de Batman recouvre tout son visage à l’exception de sa bouche, celui de son adversaire recouvre l’entièreté de son faciès. Sous l’effet du poison, le chevalier noir voit une chauve-souris sortir de la bouche de son adversaire. Il a ensuite des visions horrifiées de chauve-souris et des flashbacks de sa chute dans la caverne. Ce montage complexe et cet effet visuel de la bouche traduisent la défaite du héros : il est vaincu en tant que Bruce Wayne, ramené à son identité subjective et ses traumas, perdant sa force d’archétype. Le second duel fonctionne comme un reflet inversé : Batman intercepte son ennemi, lui ôte son masque et lui injecte une dose de son propre gaz pour le faire parler. En vision subjective, c’est le masque de Batman qui devient vecteur d’hallucinations. Il prend les traits d’un visage démoniaque entièrement noir, y compris la bouche. Une fois de plus, les masques questionnent la réversibilité du bien et du mal, de la justice et du crime. Batman a vaincu une forme de sa némésis en utilisant le pouvoir du masque et de la peur. Mais il reste un autre double maléfique : Ra’s Al-Ghul.
Ce dernier sous les traits de Liam Neeson n’a pas de masque, mais il fonctionne également comme reflet du héros par la multiplicité de ses personnalités : celui qui se fait appeler Ra’s Al Ghul est un comédien, tandis que le vrai se cache derrière le nom de Henri Ducard. Sa force est de connaître la double identité du héros et de l’attaquer au cœur de sa personne, dans son manoir. Pour s’en sortir, Bruce utilise à nouveau la théâtralité en simulant un monologue d’homme ivre insultant ses invités pour les faire sortir. Il s’agit de sacrifier sa réputation pour sauver sa ville. S’ensuit un sacrifice encore plus symbolique : la destruction du manoir, le symbole de ses parents et de son héritage familial. C’est sa dernière épreuve : s’émanciper totalement de son passé, de tout ce que son nom de famille représente et peut avoir d’aliénant. Il peut ensuite affronter Ra’s Al Ghul en tant que Batman et le vaincre en utilisant une technique qu’il lui avait lui-même enseignée dans les montagnes asiatiques. Comme pour son affrontement avec L’Épouvantail, les deux adversaires semblent être comme les deux faces d’une même pièce.
On peut noter l’apparition d’un troisième ennemi de Batman avec Tim Booth qui incarne le vicieux Victor Zsasz dans un rôle malheureusement oubliable.
Le dernier personnage de ce film, c'est Gotham. Durant tout le métrage la ville est traité comme une personne, une entité. Quelqu'un de mourant, qui souffre de gangrène, qu'il faut absolument sauver. Le coeur de la ville est représentée par la tour Wayne superbement mis en avant et relié par les artères : le métro. Que de beau plan, autant dans la lumière que dans les ténèbres (la scène où Batman est sur une gargouille et celle où il prend feu).
Batman Begins est le premier Batman de la trilogie de Christopher Nolan. Il réussi l'exploit de réalisé un film de commande (qu’il avait certes réclamé), un blockbuster, personnel et surtout qui introduit l'univers de Batman sous un nouveau jour. Bravo et vivement la suite.