Quand on constate que le personnage de Winona Ryder a vendu son âme à l'industrie télévisuelle, en animant une émission à succès à la con sur des maisons hantées, il n'est pas difficile d'y percevoir que Tim Burton se soit identifié à elle, en ce qui concerne la période lorsqu'il avait vendu la sienne à Disney, lui pompant le peu qu'il conservait encore de ce qui faisait sa singularité (ouais, il avait déjà perdu de son talent d'antan, depuis pas mal d'années, lorsqu'il avait signé avec la firme à la souris !) ; ce qu'il trainera péniblement pour d'autres studios.


Le savoureux Beetlejuice, le précédent volet, marque le début de l'âge d'or du réalisateur (qui se conclut, selon moi, avec Sleepy Hollow, mais je peux comprendre que pour d'autres, ce soit avec Big Fish !). Un âge d'or lors duquel il assumait pleinement être un geek gothique solitaire, pas mal "sale gosse" sur les bords, soumettant les diktats hollywoodiens et n'étant pas soumis à eux.


Eh bien, dans sa vieillesse, et par l'intermédiaire de cette suite, Beetlejuice Beetlejuice, on ressent qu'il a sérieusement envie de retrouver de sa jeunesse, de montrer, qu'au fond, il n'a jamais changé.


Le Tim Burton de l'âge d'or faisait la part belle au practical, aussi bien dans les effets spéciaux que dans les décors. Le jeune vieux, si on excepte quelques CGI (notamment pour les deux petits serpents rouges que la belle-mère... ou plutôt la presque grand-mère utilise pour un rituel funéraire !) et quelques fonds verts moches, revient partiellement à ce cher practical (même s'il n'y a plus le charme artisanal de la stop-motion, le tout étant lissé par une couche de numérique !). Autrement, bien sûr, qu'il y a dix milliards de clins d'œil au glorieux ainé.


On sent que Tim Burton s'est éclaté à revenir à son vrai lui. On sent que tout le casting, revenants ou nouveaux, s'est éclaté (notamment Michael Keaton, qui est au meilleur de sa forme... on ne sent pas du tout le poids des années supplémentaires chez lui !). On sent que c'est vraiment une suite qui n'a pas été faite uniquement pour encaisser un chèque bien généreux. On sent un plaisir de la part de tout le monde à être là. Bon, c'est sûr, pas Geena Davis et Alec Baldwin, même s'il aurait été logique, par rapport au film original, qu'ils fassent à nouveau acte de présence. Certes, les fantômes ne vieillissent pas, au contraire des mortels. Néanmoins, vu comment le film ne se gêne pas pour faire revenir le personnage du père (enfin, du grand-père !) et à parvenir à l'intégrer, sans pour autant réemployer l'acteur Jeffrey Jones (ouais, faire travailler un type ayant été jugé et condamné pour pédophilie, ça l'aurait foutu mal !), il y aurait eu moyen, d'une manière ou d'une autre, de réutiliser notre couple de jeunes mariés morts au lieu de s'emmerder avec une avalanche de caractères inutiles et sans profondeur (mais je vais revenir sur ce point plus loin !).


Alors, que ce soit bien clair, je ne me suis pas ennuyé une seule seconde devant ce long-métrage. Cela faisait même longtemps que je n'avais pas ressenti la notion de plaisir en visionnant un film du cinéaste. Malheureusement, ce n'est pas pour autant que j'aie été aveugle quant à l'énorme défaut principal de Beetlejuice Beetlejuice, à savoir que c'est un putain d'énorme bordel.


Dans Beetlejuice, premier du nom, il y a trois intrigues : le jeune couple de fantômes, tout mignon et attachant (ce qui contraste, d'une façon constamment hilarante, avec la situation horrible qu'il connait et les êtres, avec des physiques pas franchement banals, qu'il croise !), qui tente désespérément de se débarrasser des nouveaux propriétaires de leur petit nid d'amour, le père qui veut transformer ce dernier en attraction, dans le but noble de se faire un max de thune, et l'antagoniste-titre qui essaye de profiter de la situation pour obtenir le pouvoir d'entrer dans le monde des vivants quand il le souhaite. Ces trois intrigues sont dépendantes les unes des autres. Elles s'articulent ensemble. On en retire une et tout le reste s'effondre.


Dans Beetlejuice Beetlejuice, alors là, on a toute une multitude d'intrigues, assez indépendantes les unes des autres, dans la mesure que l'on pourrait supprimer la plupart d'entre elles sans que les autres en soient affectées (ouais, au passage, si vous n'avez pas compris par vous-même, dès le début, la situation familiale des protagonistes ou dès le premier échange de dialogues sur ce sujet, ne vous inquiétez pas, cela va vous être répété sans arrêt tout au long du film... donc, celles et ceux qui ont leur capacité d'attention bousillée par TikTok, pas de panique !). Par exemple, l'intrigue avec le personnage de Monica Bellucci donne l'impression d'être là uniquement parce que Tim Burton voulait que sa compagne ait son nom sur l'affiche (attention, je n'ai aucun souci par rapport à cela, mais à la condition qu'elle interprète un rôle consistant, servant réellement à quelque chose, avec des motifs clairs, avec un minimum d'interactions avec les autres membres de la distribution, au lieu de quasiment juste déambuler, toute seule, dans les couloirs, le tout avec des apparitions bien sporadiques !). Ou encore, la romance, concernant la jeune fille jouée par Jenna Ortega (incarnant la progéniture ado du personnage de Winona Ryder !), semble être seulement incluse pour la raison bien commerciale de plaire aux fans de la série Wednesday, qui a été un immense carton sur Netflix.


Et conséquence de cela, on a aussi trop de personnages qui, comme les intrigues, ne sont pas exploités pleinement (les enjeux perdant, par la même occasion, toute leur force, puisqu'ils sont trop rapidement expédiés !). On a même plusieurs antagonistes. Carrément. Pas des antagonistes qui agissent de concert, mais des antagonistes qui font leur tambouille, chacun dans leur coin. Aucun n'a la possibilité de faire forte impression (même Beetlejuice, c'est dire... en plus, la perversité que celui-ci avait, à l'origine, a été occultée, quand bien même, il est censé être une crapule... on vit une époque déplorablement politiquement correcte !). Et c'est dommage parce que, comme je l'ai mentionné plus haut, tous les comédiens s'éclatent ici et ne pensent qu'à offrir le meilleur d'eux-mêmes. Je pense en particulier à Willem Dafoe, en ancien acteur de films d'action de détective, qui est devenu un véritable détective dans l'autre monde (en plus, c'était une bonne idée de base, un peu méta !). L'acteur est formidable dans le registre comique, dans le trop peu qui lui est fourni. Tellement que j'aurais souhaité le voir beaucoup plus, mieux incorporé dans une histoire bien mieux écrite (ce qui n'aurait pas été compliqué puisqu'il est supposé traquer un des antagonistes !).


Il est vrai que ce capharnaüm dégage parfois un petit côté anar un brin jouissif qui ne s'était plus vu il y a belle lurette chez Burton. Toutefois, il y parvenait, auparavant et il y a bien longtemps, à dégager (et pas que "parfois" !) ce sentiment avec un scénario solide et efficace, à l'instar de celui de Beetlejuice. On peut se lâcher complètement dans la folie, s'enfoncer loin dans le délire, sans pour autant manquer de rigueur. L'un n'empêche pas l'autre.


Bon, je le redis, j'ai éprouvé du plaisir (coupable !) à regarder Beetlejuice Beetlejuice. Je croyais le Tim Burton d'avant totalement mort et enterré. Et je suis heureux de m'être trompé sur ce point (euh... pour ce qui est de sa personnalité, pour le talent, par contre, je pense que c'est définitivement foutu... disons qu'on a retrouvé le Tim, allant du médiocre au moyen, de l'après Sleepy Hollow et de l'avant Alice !). Cependant, le résultat présente de très grosses limites bien dommageables. Ah oui, évidemment que Beetlejuice sans rien derrière est à des années lumières au-dessus.


Alors, la toute fin laisse entendre que les créateurs ne s'interdisent pas, sans trop l'avouer explicitement, un troisième opus (ce qui n'a rien de surprenant... le plus étonnant serait qu'une potentielle franchise ne le fasse pas un jour !). Cela s'appellera peut-être Beetlejuice Beetlejuice Beetle... euh, par précaution, je vais m'abstenir de le prononcer. En outre, il a déjà été appelé une fois de trop.


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le 9 sept. 2024

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Plume231

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