Dès l’introduction, Tim Burton partage dans ‘Big Eyes’ son entrain pour une étonnante histoire vraie avec une narration sans accroc, une mise en scène délicieuse, une bande-originale plaisante et des acteurs enthousiastes (notamment Christoph Waltz qui s’en donne à cœur joie).
Toutefois, le réalisateur en profite également pour livrer une réflexion pertinente sur la condition d’artiste.
En effet, ce n’est pas tellement les rebondissements dans la vie et la carrière des Keane qui passionnent, mais plutôt les motivations des deux époux. Walter Keane, commercial sans talent artistique, fantasme le milieu artistique, tandis que Margaret Keane peint ses toiles de manière quasi-obsessionnelle sans intérêt pour la reconnaissance du public. En cela, deux visions de l’art s’opposent : d’une part l’art comme exutoire émotionnel, d’autre part, l’art comme produit. Evidemment, le spectateur se range du côté de Margaret, victime de l’opportunisme de son mari, et on abonde à sa vision de la création artistique.
Puis les rôles s’inversent. Prétextant vouloir rétablir la vérité, Margaret veut profiter de la renommée de ses toiles, tandis que Walter Keane se prend au jeu et s’emporte violemment lorsque l’œuvre qu’il est censé avoir réalisée pour l’UNICEF est critiquée. Seulement, comme elle l’admet elle-même, les toiles de Margaret n’auraient probablement pas eu de succès sans le charisme de son mari. Le manichéisme initial n’est plus si évident, et on en vient même à prendre pitié pour un homme qui conserve d’une certaine manière son intégrité en refusant d’avouer qu’il n’est pas artiste.
Finalement, on pourra donner raison au critique d’art catégorique : ni Margaret, ni Walter ne sont des artistes. L’art est à a fois produit et expression des sentiments, et les visions des deux époux sont complémentaires, mais dans leur lutte sourde d’intérêt, ils laissent leurs œuvres inachevées. Tim Burton l’a lui très bien compris, et offre pour le coup une œuvre réussie.
Entraînant et intelligent.