Que ça fait du bien de voir un Burton hors de son esthétique habituelle ! Je considérais qu'il était complètement tombé dans l'autodérision depuis Charlie et la Chocolaterie tellement il se recyclait fadement. Oui, son esthétique est originale, mais il en abusait au point que le reste de ses films en étaient devenus creux (le paroxysme ayant été Alice au Pays des Merveilles, AU SECOURS quelle daube). J'attendais donc désespérément qu'il se renouvelle, parce qu'il reste pour moi un réalisateur très talentueux sur le plan technique. Et, miracle ! il l'a enfin fait avec ce film !
Mais pas assez pour ne pas me laisser un peu déçu du côté de la réalisation. Pour du Burton, ça tranche avec ce qu'il fait d'habitude, oui... mais sur un plan plus général, rien de bien folichon là-dedans. Pas de parti pris de réalisation, rien de très audacieux. Ça reste beau à voir, on a quelques plans très bien pensés, mais j'en suis pas tombé de ma chaise. C'est un peu triste, à croire que Burton serait incapable de trouver un juste milieu. Mais je garde espoir et je me dis qu'un jour, on aura vraiment un truc bien dosé de Burton. Qui sait.
Évidemment, la présence de Christoph Waltz ne m'a pas laissé indifférent non plus. C'est un acteur que j'estime infiniment depuis que je l'ai découvert avec Inglourious Basterds. Il a un talent abusé pour jouer les manipulateurs, et une fois de plus, il ne m'a pas déçu. Très beau personnage, très beau jeu d'acteur. Sans surprise mon préféré du film. (hein quoi, mon personnage préféré est quasi-toujours lié au mensonge pour palier son estime de lui ? mais de quoi parlez-vous donc... ?)
Incroyable ce talent qu'il a pour rendre un fils de pute attachant. J'étais incapable de rester du côté de la belle Margaret tout le long. Voir Walter se briser vers la fin, ça m'a vraiment fait mal. En particulier la scène où on apprend que les tableaux des scènes parisiennes n'étaient pas de lui. Sa tentative de « fuite » pour esquiver le sujet et se justifier, avant de craquer par faiblesse... oh mon dieu, on a tellement une belle compréhension de la mythomanie et de la façon de réagir qu'ont les mythomanes. J'avais vraiment mal pour Walter et je n'arrivais même pas à prendre le parti de Margaret. Insoutenable.
En revanche, je trouve ça très dommage que le personnage soit tombé dans un manichéisme désagréable. Je ne connais pas les détails de l'histoire dont le film s'inspire, mais Walter tombe trop dans le ridicule sur la fin. Le pire étant la fameuse scène où il essaye de mettre le feu à l'atelier : elle combine absolument tous les clichés du genre. La musique idiote avec les basses qui montent en pression et les cordes super aiguës, mais au secours Elfman, c'est de la merde là (d'ailleurs le reste de la BO est pas dégueu, même si je suis pas non plus super fan d'Elfman en général (enfin il fait des trucs chouettes mais ça s'arrête là pour moi)). Sans parler du jeu d'acteur trop caricatural, et ne mentionnons même pas le feu qui prend à cause d'une malheureuse bouteille d'huile mal fermée... À en vomir. Au point où je me demandais : puisque le « kitsch » des tableaux a été évoqué plus tôt dans le film, est-ce que la réalisation de cette scène serait là pour faire passer le thème du kitsch dans la réal' en la rendant kitsch exprès ? Hum, à méditer. De Burton, c'est aussi probable que ça ne l'est pas. On saura jamais.
Et finalement, encore une fois, je ne connais pas les détails des faits réels, mais Walter est beaucoup trop ridiculisé lors de la scène du procès. Ce qui est décevant. Il y avait tant matière à rendre le personnage touchant et à montrer son dépit et sa folie sans lui donner l'air con. Dommage...
Le film aborde beaucoup de thèmes extrêmement intéressants, les plus notables étant la place de l'art dans la société, le charisme de l'artiste vs. son talent et le rapport avec sa popularité, les formes de « marketing » artistique, la place de la femme dans la société d'antan, la place de la femme dans l'art, le plagiat évidemment, et même la religion... Bref, beaucoup (toutes exception faite de la religion, en fait) de choses qui me touchent facilement, donc ça a joué en la faveur de mon avis globalement positif du film.
Les gourmands d'art et d'histoire de l'art comme moi seront aussi récompensés pour leur passion avec quelques petites références ici et là, ça fait toujours plaisir. On a même un joli parallèle de fait avec l'art abstrait, notamment avec le propriétaire de la galerie d'art abstrait qui dit que l'art est une question de mode et qu'il veut des choses qui vendent, mais qui paradoxalement reste insensible face à la coqueluche des "big eyes" (ce qui confirmerait qu'il apprécierait sincèrement l'art abstrait ?). Subtil et très bien trouvé, à mon humble avis.
Voilà voilà, un film chouette. Je vous recommande d'aller le voir tant qu'il passe encore. C'est pas un must-see non plus, mais il fait plaisir. Surtout si, comme moi, vous attendiez que Burton arrête de se rouler dans la boue.