À la marge. C’est ce qui, dès ses débuts il y a presque trente ans déjà, a intéressé Andrea Arnold. Des personnages à la marge. De la légalité (Jackie dans Red road), des conventions (Hetty dans Milk, Catherine et Heatcliff dans Les hauts de Hurlevent) ou des normes sociales (les héroïnes de Fish tank, American honey et Bird). Bird pourrait d’ailleurs venir conclure une trilogie, après Fish tank et American honey, sur une adolescence qui se cherche dans les remous d’une réalité paupérisée qu’Arnold sait saisir dans toute son âpre poésie. Mia, Star et Bailey (on pourra aussi évoquer l’adolescente de Dog) sont ces trois ados jetées en pâture dans un monde dont la brutalité (masculine principalement) ne saurait, jamais, les freiner dans leurs désirs de s’affranchir.
Versant ici dans un onirisme plus accentué qu’à l’accoutumée, et n’hésitant pas à se frotter à quelques élans fantastiques, Arnold n’abandonne pas pour autant sa veine sociale qui sonde et interroge la mise à l’écart des banlieues anglaises. Arnold c’est, si on voulait, du Loach en mille fois mieux. C’est du Loach tout en incandescences. Avec le personnage de Bird (Franz Rogowski, espiègle et touchant), homme solitaire surgit de nulle part à la recherche de ses origines, Arnold introduit, au sein d’un quotidien marginalisé (squats, terrains vagues, quartiers pauvres, violences domestiques…) qu’elle connaît bien, un élément incongru qui, soudain, va bousculer celui de Bailey.
Entre un père aimant mais à la ramasse (qui cherche à se lancer dans le commerce de substance hallucinogène récupérée de la bave de crapaud), un grand demi-frère jouant les justiciers avec ses amis et des journées passées à zoner, Bailey ne parvient à trouver sa place parmi ce, celles et ceux qui l’entourent, mais plutôt dans la nature avec laquelle elle semble être en connexion, où elle se ressource, et qu’elle filme constamment avec son smartphone, moyen d’expression à la fois de sa réalité et de son imaginaire. Sa rencontre avec Bird, en quête de père quand celui de Bailey est comme à apprivoiser, la verra s’engager sur un chemin initiatique oscillant dans une sorte d’entre-deux (ciel et immeubles, nature et béton, réalisme et fantastique, homme et animal, douceur et dureté…). Vers une direction à prendre. Une condition à accepter.
Si ces choix narratifs séduisent beaucoup, Bird va pourtant, très lentement, se révéler déceptif. Déception qui ne viendra pas de ces choix-là, encore que le film aurait gagné à être resserré dans son récit, plusieurs intrigues ne servant pas vraiment à grand-chose (le demi-frère et sa copine enceinte, par exemple), mais de la forme. Une forme qui donne ce sentiment, prégnant, qu’Arnold n’arrive pas à se renouveler, voire se complaît dans certains automatismes formels (caméra tremblée, plans à l’arrachée, bestiaire en exergue, lyrisme de la déglingue…). Et puis bon, au bout du vingtième plan d’oiseaux volant dans le ciel ou d’insectes saisis dans la lumière d’été, on soupire parce que, OK, on a compris l’intention. Si Arnold offre à Bailey, lors d’une magnifique scène finale, la possibilité de prendre son envol (en restant, paradoxalement, rattachée à la terre), c’est, pour le spectateur, davantage l’impression de ne jamais décoller du bitume qui prévaut.
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