Bird d’Andrea Arnold : une fresque poétique et sauvage
Avec Bird, Andrea Arnold continue de creuser son sillon singulier : celui d’un cinéma qui, tout en restant profondément enraciné dans le réel, déploie des ailes pour s’élever vers des sphères presque mythologiques. Ce conte social contemporain, magnifiquement ancré dans le nord du Kent, est une œuvre qui s’affirme autant par sa densité thématique que par sa virtuosité formelle.
Le film emprunte son titre à Bird (Franz Rogowski), une figure ambiguë, presque totemique, qui surgit dans la vie de Bailey, jeune fille de 12 ans coincée entre l’absence toxique d’un père et l’immensité de ses propres rêves. Mais Bird, ce n’est pas qu’un personnage. C’est aussi une invitation, une métaphore : celle d’une échappée vers un ailleurs indéfini, entre ascension et chute. Arnold parsème son récit de clins d’œil érudits, convoquant les harpies de la mythologie grecque – ces êtres mi-femmes mi-oiseaux porteurs de mystère et de menace. Tout comme elles, Bird et Bailey oscillent entre la grâce et la colère, des figures aussi attirantes qu’insaisissables, un moment de vengeance qui réveille l’animal.
Plus surprenant encore, le film semble dialoguer avec des références aussi disparates que le Batman contemporain et l’univers déviant d’Harmony Korine. L’ombre du Chevalier Noir se reflète dans les mouvements de caméra fixés sur le toit, dévoilant la silhouette de ce justicier singulier. Quant à Korine, son empreinte se ressent dans la texture granuleuse du quotidien, dans ces errances poétiques entre ruisseaux et carcasses rouillées, où Bailey trouve une beauté inattendue.
Mais ce qui rend Bird véritablement inoubliable, c’est sa bande originale, un chef-d’œuvre en soi, révélant un goût exquis pour le choix de la BO.
Arnold filme Bailey avec une tendresse brute, jamais sentimentale. Nykiya Adams, interprète non-professionnelle, déploie une intensité rare, capturant à la perfection ce fragile équilibre entre l’enfance et l’adolescence. La caméra épouse son point de vue, dans un mouvement constant, à la fois léger et pesant, comme un oiseau qui cherche sa voie dans un ciel chargé.
Bird est une œuvre qui s’élève, plane, mais ne perd jamais de vue la rudesse du sol. C’est un film sur les marges, sur les blessures familiales, sur les rêves qui peinent à décoller – mais aussi sur la beauté des moments suspendus, quand tout semble encore possible. Avec ce chef-d’œuvre, Andrea Arnold signe une ode viscérale et lumineuse à la quête de liberté.