La comparaison avec A Touch of Sin de Jia Zhangke - sorti il y a à peine quelques mois - est à la fois évidente et quelque peu excessive. Les deux films chinois sont des polars à résonance sociale, mettant en avant tous les deux la violence inhérente à l'Empire du Milieu, au travers d'histoires criminelles en plusieurs actes, avec en plus des protagonistes relativement similaires. Lauréat du convoité Ours d'Or à la dernière Berlinale, Black Coal Thin Ice, ou plus simplement Black Coal (les traducteurs de titres VF préfèrent ne pas s'embêter avec plus de deux mots) arrive enfin sur nos écrans français.
La mise en scène de Black Coal est la première chose qui frappe. C'est beau, magnifique, novateur - la caméra de Diao Yinan capte à merveille ces mines de charbons, ces patinoires et ces routes enneigées. Si ça ne vaut pas non plus la violence plastique de Zhangke, on reste face à un véritable travail d'orfèvre, pas trop tape à l’œil, mais pas non plus effacé. Certaines scènes font preuve d'une ambiance oppressante, une tension palpable qui ne s'argumente pas seulement autour du scénario. Un scénario qui, comme A Touch of Sin, n'est pas à prendre au premier degré - s'inscrivant dans cette veine passionnante du cinéma réaliste chinois contemporain. Diao Yinan donne son message par sous-entendus et par bribes d'histoires, ne laissant pas sa vision pessimiste de son pays empiéter sur la narration de son film : les personnages sont travaillés, la tragédie se marrie avec merveille avec un second degré et une ironie très réussie. On pense aussi à l'incroyable distribution du film : chaque rôle est porté par un interprète brillant. Fan Liao, bien sur, auréolé d'un Ours d'Argent lui aussi, porte le film de merveilleuse façon, mais aussi Lun Mei Gwei, apportant autant de charme et de grâce à un rôle pourtant ambiguë et complexe.
Black Coal dérange - autant dans ses fonctions de film policier que de drame social. Dégageant une empreinte forte d'aventure sauvage au sein d'une Chine en perte de repères moraux, le film de Diao Yinan réussi à exercer une puissance visuelle et scénaristique, certes irrégulière, mais toujours incroyablement bien menée. On regrettera cependant que la majesté du film n'atteignent pas celle d'un A Touch of Sin - la dernière partie de Black Coal, certes lourde de sens, finit par traîner en longueur malgré le malin et mystérieux final.
Il y a sans doute eu de bien meilleurs métrages lors de cette Berlinale 2014 - il n'empêche que primer un film aussi audacieux que Black Coal est une preuve de courage et surtout de reconnaissance véritablement admirable. On peut se dire que la Palme d'Or que A Touch of Sin n'a pas eu a été vengée par cette victoire du film de Diao Yinan. Imparfait, parfois trop lourd dans sa démarche ou effacé dans sa narration, le message de Black Coal est cependant digne d'intérêt et mérite à lui seul que l'on s'intéresse à cette agréable surprise, expérience dérangeante mais néanmoins nécessaire.