Black Dog offre une magnifique scène d’ouverture qui m’a captivé dès les premières secondes. Un long travelling sur un désert écrasant parcouru par une route, une piste devrions-nous dire. Soudain, une meute de chiens traverse le champ, déroutant le conducteur du seul camion à des kilomètres à la ronde, qui fait une sortie de route et se couche sur le côté. Tout Black Dog pourrait être résumé à cette scène : un décor vertigineux, des chiens en pagaille, une lenteur poétique et contemplative de la mise en scène.
A l’heure où le monde a les yeux rivés sur le cinéma chinois alors que Ne Zha 2, un film qui laisse les occidentaux perplexes, entre dans le top 5 des plus gros succès mondiaux, dépassant les 2 milliards de recettes (315 millions d’entrées en Chine à l’heure où j’écris ces lignes) et tutoyant désormais Titanic, les deux Avatar et Avengers Endgame au box-office mondial, Black Dog montre que le cinéma indépendant chinois n’est pas en reste et a encore de beaux jours devant lui.
Le cinéma de Guan Hu, le réalisateur, n’est pas sans rappeler celui de Jia Zhang-Ke, notamment dans les thématiques abordées : les laissé-pour-compte et une certaine image d’une Chine rurale, loin de l’effervescence des grandes villes. Hommage ou clin d’œil, Jia Zhang-Ke interprète d’ailleurs ici l’oncle de Lang, Yao.
Tourné en pellicule argentique en plein désert de Gobi, au Nord-Ouest de la Chine, le film raconte l’histoire de Lang – un jeune homme mutique sortant de prison et rentrant dans son village natal. Nous sommes en 2008, une poignée de jours avant les Jeux Olympiques de Pékin, dont les publicités ornent les murs de la ville. Et pourtant, cette petite ville délabrée est à des années lumières du rêve olympique vendu par la Chine. Lang est bien connu en ville, certains le connaissent pour son ancien métier de cascadeur à moto chevronné, d’autres pour l’accident qui l’a envoyé derrière les barreaux et qui a causé la mort d’un jeune homme, le neveu du boucher. Adulé d’un côté et haï de l’autre, Lang est comme prisonnier d’un passé lourd à porter.
En ville, comme pour tenter de redorer un blason terni par le sable et attirer de nouveaux investisseurs, les autorités ont lancé un grand plan de modernisation. Ce plan prévoit de raser certains quartiers entiers, comme celui du zoo où travaille et habite le vieux père de Lang, et surtout de faire la chasse aux chiens errants, devenus aussi nombreux que les habitants.
Parmi ces chiens, il y en a un en particulier – noir et décharné, portant potentiellement la rage – dans le viseur de la police. Une récompense est prévue à celui qui le débusquera et réussira à l'attraper. C’est ainsi que Lang se met en tête de capturer le chien. Mais il se fait mordre, et passe une quarantaine chez lui, seul avec le chien. De là nait une relation unique, intime entre l’homme et l’animal.
Pour incarner Lang, héros austère et taiseux, il fallait un acteur charismatique et magnétique. Eddie Peng est absolument parfait dans ce rôle, une vraie force tranquille, tout en intensité et en fragilité. Le personnage de Lang fait référence à la divinité chinoise Erlang, toujours représentée accompagnée d’un chien mince et élancé pour lui tenir compagnie.
On pourrait voir dans le titre Black Dog une forme d’écho au magnifique film hongrois de Kernel Mundruczo White God, qui racontait la révolte d’une meute de chiens errants contre les humains. Lili, seule à pouvoir arrêter la folie canine, ressemble par bien des aspects à notre Lang.
Black Dog fait le portrait d’un monde à l’agonie qui aurait perdu le sens de la vie, qui vivote et végète, sans ambition, sans aspiration, sans motivation. Sous l’emprise de gangs à moto (la référence à Mad Max est quand même assez lointaine), toute autorité a presque disparu et chacun semble faire sa loi. C’est le cas du boucher, l’entrepreneur de la ville avec son élevage de serpents, qui se met en tête de venger la mort de son neveu et donne lui à des situations assez absurdes.
Le long métrage de Guan Hu est un songe qui fait la part belle aux animaux – qu’ils soient loups, tigres ou bien chiens – et qui n’oublie pas une forme d’humour poétique, à l’image de ces cascades ratées que Lang tente de réaliser, ou la surprenante éclipse finale. Un film déroutant, qui a su séduire le public cannois. Il y a remporté le Prix Un Certain Regard 2024.