Ca y est, elle l'a senti !
C'est l'histoire d'une ballerine névrosée jusqu'à la moelle comme tant d'autres, en quête d'une impossible perfection. Son quotidien nous est donc présenté avec son pesant de didactique : au petit matin, les articulations craquent à n'en plus finir, les repas se cantonnent à une figue et trois noisettes, le corps est très abîmé et l'esprit presque autant tant ce métier génère un épouvantable stress. Ah, cet art du pléonasme...
C'est aussi forcément l'histoire d'une mère abusive ex-ballerine qui reporte sur sa fille sa frustration de n'être jamais sortie du rang. C'est aussi le destin d'une autre danseuse encore jeune mais en fin de carrière jetée comme un vulgaire kleenex usagé lorsqu'elle n'est plus au top. Mais le gros plus du film, c'est que l'Étoile sur le retour en question est aussitôt victime d'un accident de la route, avec pour cadeau de retraite les jambes broyées. Santa Barbara, quand tu nous tiens !
Voilà surtout un scénario sans originalité et mille fois rebattu sur les convoitises du milieu artistique, avec des clichés à la pelle, et prétexte à une réalisation d'un lyrisme grandiloquent et fantasmagorique, sans aucune pudeur ni sobriété, où la caméra insiste avec une finesse de pachyderme sur l'automutilation - Haneke, qui fait pourtant rarement dans la dentelle, savait tellement mieux le suggérer dans la Pianiste -, sur les visions délirantes de la danseuse à qui on reproche, pour faire simple, d'être frigide dans son art, donc trop Cygne blanc et pas assez Cygne noir, et qui de cauchemar en vision – la scène introductive avec le sorcier Rothbart n'est pas loin du grotesque – sombre dans la paranoïa et la folie.
À partir de là, le film se vautre dans tous les travers possibles : schizophrénie à quatre sous dès lors qu'apparaît un miroir, plans sursauts avec un gros boum digne de Scream, et toute la panoplie de la victimisation, du chorégraphe prédateur sexuel à la copine-rivale à qui on croit avoir léché le minou dans une torride scène nocturne qui n'était que le fruit d'une prise d'ecsta la veille de la première répétition scénique, peut-être l'idée scénaristique la plus pitoyable du genre.
La bande originale du film, elle, n'est qu'un tripatouillage légèrement psychédélique sur la partition du Lac des cygnes qui n'apporte strictement rien à l'original. Quant à l'usage immodéré de la célèbre cantilène de hautbois qu'on entend jusque sur la boîte à musique de Nina, et plus fashion encore, sur sa sonnerie de téléphone portable, comment ne pas lui opposer l'économie de moyens tellement plus foudroyante de Xavier Beauvois lors de son unique apparition dans Des Hommes et des Dieux ?
Le pire, c'est que les besoins de la réalisation nous privent du vrai grand climax du ballet de Tchaïkovski en baissant à fond le volume de la musique sur les notes de harpe qui précèdent les terribles derniers accords, le tout pour entendre un dialogue d'une bêtise à mourir : ayant réussi à faire sortir la bête qui est en elle, notre ballerine hémorragique quitte l'écran en un dernier regard à son chorégraphe en s'ouvrant d'un "Je l'ai senti !". Nous aussi, on l'a senti !