Lors de la première partie de sa carrière, on a toujours reproché à Brian De Palma d'avoir confondu hommage à Alfred Hitchcock et plagiat. Même à l'époque de ses films expérimentaux où l'ombre du maestro britannique dissimulait déjà le talent du cinéaste américain. Alors bien sûr, quand on voit le protagoniste de Body Double se rincer l’œil au télescope, beaucoup bondissent d'indignation. Et ils ont tort, car ici De Palma se réfère à Hitchcock pour mieux surprendre lorsqu'il s'en éloigne. À partir du même principe de base, le voyeurisme (saupoudrée en prime d'une pointe de fétichisme de sous-vêtement féminin portée), De Palma débouche sur un sujet complètement différent, avec une maîtrise que le géniteur de Fenêtre Sur Cour et de Sueurs Froides n'aurait pas reniée.
Jeune comédien au cœur brisé de par les infidélités de sa femme, claustrophobe, chômeur et à la rue, Jake rencontre un acteur qui lui confie son appartement, mais aussi son télescope qui, chaque soir à la même heure, lui permet d'observer le strip-tease suivi de la session de masturbation d'une sensuelle voisine. Jake en tombe littéralement amoureux mais son voyeurisme le conduit à trop se fier à ce qu'il voit sans se douter une seule seconde qu'il est la victime d'une machination diaboliquement tissée...
Malin, Brian De Palma mène ses spectateurs par le bout du nez avec brio et parvient à rendre ses fantasmes essentiels au développement de l'intrigue. Ici, le sujet n'est absolument pas la pornographie, celle-ci n'est que le milieu où se déroule l'enquête. Du coup, les scènes les plus suggestives suscitent d'autant plus le suspens que le trouble avec quelques pointes d'humour bienvenu rythmé par la synthpop de Frankie Goes To Hollywood et leur mythique tube queer Relax. Quant à l'action, elle est quasi permanente avec des coups de théâtre aussi multiples qu'imprévisibles.
À l'instar d'Hitchcock, De Palma aime les acteurs et les actrices. En 1984, il pouvait déjà se vanter d'en avoir découvert plusieurs parmi les plus grands (William Finley, Robert De Niro, Jill Clayburgh, Margot Kidder, Nancy Allen, Sissy Spacek...). Ici, ce n'est sûrement pas par hasard s'il a choisi de donner sa chance à Melanie Griffith, qui est à la ville la fille de Tippi Hedren, héroïne d'Hitchcock dans Les Oiseaux et Pas De Printemps Pour Marnie. L'actrice X Annette Haven ayant été écartée pour son manque de sensualité, la jeune Melanie crève indéniablement l'écran en incarnant une hardeuse aussi touchante que gourde. D'habitude plutôt falot, Craig Wasson reste quant à lui l'acteur idéal pour interpréter le héros loser à qui les mésaventures apprendront à se métamorphoser en winner. Un personnage comme Hollywood les affectionne dans un film où Los Angeles a assurément le premier rôle.