L’un des rares films « west coast » de Brian De Palma est aussi l’un des plus fous. On pourrait dire que Body Double ouvre une trilogie poursuivie avec L’Esprit de Caïn en 1992, et Femme Fatale en 2002 ; trois films dans lesquels le maniérisme de De Palma se présente sous sa forme la plus débridée.


Body Double est un remake de Vertigo, remake scénaristique tout autant que remake esthétique puisque les trouvailles formelles d’Hitchcock – travelling compensé, travelling circulaire – sont adaptées par De Palma ; à la différence près que De Palma exagère tout : l’intrigue – déjà pas très vraisemblable chez Hitchcock – tourne à la pantalonnade et les effets stylistiques flirtent avec le mauvais goût. De plus, De Palma évacue complètement la puissance émotionnelle de Vertigo pour ne faire de son remake rien de plus qu’une farce. C’est là la limite du film mais c’est en même temps ce qui le rend si incroyable, puisque l’on peut dire que Body Double est un film de « pure mise en scène ».


À ce titre, la deuxième demi-heure du film est un sommet. De la filature en voiture jusqu’au meurtre, on a là un bloc de cinéma absolument stupéfiant, qui parvient à jongler entre suspense, terreur et comique : tout dans cette longue séquence prête à rire mais pourtant nous sommes tenus en haleine comme rarement devant un film. À un moment précis de cette séquence, De Palma parvient même à provoquer émerveillement, peur et rire en à peine trente secondes : lors de la scène de la plage ; on a donc l’émerveillement lorsque Gloria retire ses énormes lunettes et révèle son regard de femme en détresse, la peur lorsque nous apercevons l’Indien qui se prépare à commettre son méfait, et le rire aux éclats lorsque l’Indien s’enfuit ventre à terre avec le héros à ses trousses.


Par la suite, le film opère un basculement digne des plus grands films post-70’s (Mulholland Drive en tête) et descend encore un peu plus bas, puisque l’on passe du monde de la série Z au monde du porno (qui, comme le dit le film, « appartient au caniveau »). Le film pourrait ressembler à une descente aux enfers si seulement il se prenait au sérieux, mais De Palma laisse ça aux autres.


Il est amusant d’apprendre que De Palma jugeait son film raté car invraisemblable, alors qu’il paraît très difficile d'imaginer que le moindre effort a été fait pour gommer cette supposée faiblesse. Si l’on peut croire au début (avant le télescope) que le film va réellement nous faire partager la douleur que c’est d’être cocu et acteur au chômage, on constate bien vite que De Palma fait déraper son film vers tout autre chose. Si Body Double a un sujet, c’est le désir de « se faire un film », de vivre quelque chose de fou, d’insensé, fait de romance, de sexe et de mystère ; c’est aussi le sujet de Mulholland Drive. Le regard que porte De Palma sur son héros de pacotille se révèle alors plein de tendresse.

Neumeister
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le 29 avr. 2014

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