Ma période préférée dans la carrière de Brian De Palma correspond au début des années 80, avec l'enchaînement "Dressed to Kill" - "Blow Out" - "Scarface" qui s'achève avec "Body Double" (avant le passage au cinéma de studios).
"Body Double" est un film incroyable, typiquement De Palmesque, peut-être trop pour son propre bien : en effet, le cinéaste consacre la totalité de son attention à la mise en scène, quitte à négliger certains aspects de son récit (vraisemblance, rythme, twist trop évident...).
Pour ma part, je préfère quand la mise en scène est au service de la narration, plutôt que l'inverse.
Ce qui n'empêche pas "Body Double" d'être un film remarquable, riche et singulier, dans lequel De Palma explore l'esthétique kitsch du cinéma bis (le porno et les films d'horreur de série Z) : un thriller érotique très ancré dans les années 80, qui recoupe la plupart des thèmes chers à son auteur, à commencer par le pouvoir de l'image (voyeurisme, jeu entre réalité et illusion,...).
Dans le même temps, "Body Double" constitue un vibrant hommage à Alfred Hitchcock, grand inspirateur de De Palma, le film multipliant les références à deux classiques majeurs du maître du suspense, "Vertigo" et "Rear Window" (avec cette stupéfiante Chemosphere octogonale, bâtie juste au-dessus de Mulholland Drive).
Un autre aspect passionnant réside dans sa dimension revendiquée de série B auto-parodique, visible par exemple dans l'humour et le second degré affichés tout au long du film (à l'image de cet improbable clip singeant Frankie Goes to Hollywood, ou de cette perceuse phallique démesurée), mais aussi dans le sur-jeu assumé des comédiens.
A l'image du rôle principal confié au méconnu Craig Wasson - dont le charisme douteux favorise l'identification du spectateur/voyeur - De Palma compose un casting dépourvu de vedette, à l'exception d'une Melanie Griffith muy caliente.
Le film connaîtra un échec cuisant lors de sa sortie en salles, avant d'acquérir tardivement un statut de film culte, et ce n'est pas forcément étonnant : aux yeux du spectateur lambda, "Body double" s'apparente à un thriller moyennasse : prévisible (on reconnaît le méchant sous son maquillage), racoleur et non dénué de longueurs.
En revanche, avec un regard de cinéphile, la mise en scène inventive et hyper soignée transcende la trivialité de l'ensemble pour en faire un standard incontournable des années 80.