Ozu fait partie de cette branche de cinéastes vieillissant encore actifs. Le sujet puise en effet aux débuts de la carrière du réalisateur pour constituer un remake de Gosses de Tokyo (1932), avec comme particularité de s’attarder davantage sur le point de vue des parents plutôt que sur le point de vue des enfants. Pour cette mise en abîme de la maturité de l’artiste quant à son regard sur son œuvre, Ozu œuvre une opposition entre une famille aux origines rurales et les progrès que connaissent la société à l’heure où la décennie 1950 touche à sa fin. Pour cela, Ozu fait prendre place son récit en pleine banlieue de Tokyo. Dans les deux productions, nous retrouvons effectivement le motif des deux enfants se rebellant contre leurs parents. Le contexte de réalisation modifie néanmoins leur optique ; en l’occurrence, ils souhaitent qu’ils leur achètent une télévision, tandis qu’à l’origine il s’agit de lutter contre l’immoralité d’un père ne respectant pas les valeurs qu’il promulgue pourtant à longueur de temps.
L’inclusion de la présente réalisation à l’aube de la décennie 1960 veut qu’il aborde des thématiques plus modernes, et surtout plus universelles impliquant un plus large public. Le rôle occupé par les deux enfants s’en trouve altéré, par rapport à ce qui a été fait des décennies avant ; si dans Gosses de Tokyo ils occupaient la place de « fouineurs » eux-seuls capables de déceler la vérité vis-à-vis de leurs parents, ils incarnent désormais l’écart entre cette volonté d’intégration nationale et celle de conserver une vie de « paria ». Ce vieux Japon au vitriol et cette nouvelle société en puissance s’en trouvent cristallisé à travers les deux binômes. Celles-ci trouvent néanmoins pour vecteur commun d’être empreint de froideur vis-à-vis de l’autre. Ici, l’autre, c’est l’enfant vis-à-vis du parent, et vice-versa. Pour autant, le Japon est réputé pour se renfermement sur lui-même, et sur la réticence de sa population vis-à-vis du progrès, surtout vis-à-vis de ce qui sort de son territoire.
Partial le film l’est, et approuve le dicton selon lequel la vérité ne sort que de la bouche des enfants, puisque le discours tourne en leur faveur et que leurs parents sont volontiers radicaux et donneurs de leçons alors qu’ils demeurent inconsciemment très imparfaits surtout dans leurs relations avec leurs enfants. La fixité de ces parents est traduite dans la mise en scène épurée si chère à Ozu, essentiellement constituée de plans fixes plaçant la caméra à ras du sol. Si elle traduit davantage le blocage qu’implique la vieillesse dans Voyage à Tokyo, elle reflète davantage l’esprit de constance des deux camps et son aspect presque documentaire, et la bassesse par laquelle ils sont ramenés. Pour montrer le décalage, un plan sur la colline ornant le haut de l’allée où se trouve la minuscule demeure, intervient à quelques reprises tout au long du film.
Effectivement, c’est avant tout un film sur la difficulté qu’implique le dialogue. La grève de la parole à laquelle s’engagent les deux jeunes protagonistes implique de remplacer les mots par des motifs enfantins effectués avec la bouche (ils imitent principalement le son des flatulences pour ridiculiser le principe même de la parole par de risibles sons provocant une hilarité assumée). Par rapport au film d’Imamura qui le suivra quelques mois plus tard (Mon deuxième frère), la dimension sociale de Bonjour a eu recours au discours strictement indirect ; on assiste à une histoire de querelle de famille en apparence ordinaire, mais on fait fi au premier abord de la dimension hiérarchique impliquée par les quatre personnages issus de générations différentes. Cet opus est ainsi apparenté à la comédie, bien qu’il soit conscient de ce qu’il implique au-delà de la couleur comique.