Ali ABBASI m'ayant grandement convaincu avec Les Nuits de Mashhad (2022), j'ai eu envie de découvrir une autre part de sa filmographie, pour l'instant encore assez courte, et mon choix guidé par l'instinct s'est porté sur ce Border (2018) dont je n'avais jamais entendu parler et quitte à me laisser surprendre complètement je décidais de ne même pas lire le synopsis.
Dès la première séquence, on comprend que de sa double culture iranienne et danoise, il inscrit celui-ci dans la part scandinave. L'ambiance, comme l'atmosphère, la lumière sont froides, nous sommes dans des teintes bleutées et grises des fjords, nimbées des verts sombres des forêts, le tout juste réhaussé par endroits de nuances chaudes typiques d'intérieurs à la fois protecteurs et qui isolent du monde extérieur.
Tina est une jeune femme au physique monstrueux, dont le faciès rappellera les traits néanderthaliens, qui officie comme douanière sur le port local, elle est dotée d'un odorat exceptionnel qui lui permet de détecter infailliblement les différents produits liés aux trafics mais aussi de sentir l'état émotionnel des gens, la culpabilité, le stress, la peur.
Après son service elle rentre chez elle, une maison à la fois confinée au fin fond de la forêt mais faisant néanmoins partie d'un hameau, elle se partage entre son père qui vit dans une maison de retraite et un "compagnon" dont on comprend vite qu'il profite d'un logement gratuit, quand Tina recherche une compagnie.
Un jour à son poste elle fait la rencontre d'un homme qui présente les mêmes caractéristiques physiques qu'elle, cela la trouble et elle a beau sentir qu'il cache un lourd secret, une forme d'attirance phéromonale l'empêche de vraiment affirmes son impression.
Le film joue alors une partition de fable sur l'identité, la différence, l'acceptation, dont on suit le canevas d'une toile qui tisse sa trame par petites touches, nous plongeant délicatement mais assurément dans un univers étrange, une angoisse palpable mais jamais horrifique, un film où beauté et monstruosité sont intrinsèquement liées, comme les deux faces indissociables d'un monde à la Janus, vie et mort, amour et haine, fraicheur et pourriture, lumières et ténèbres, ne s'opposant plus comme le voudrait une vision judéo-chrétienne mais s'épousant et étant par conséquent plus proche d'une approche cosmologique du monde animiste, païenne aurait on dit dans un autre temps.
Des apports narratifs finissent par métamorphoser cette fable en un conte bestial, amoral, qui vient nous plonger dans un final de cauchemar qui a la particularité ou plus exactement le culot de ne pas opposer le beau au laid, l'humain au monstre mais à les renvoyer dos à dos, chacun face à son miroir et sa conscience.
Film troublant, film qui je pense laissera beaucoup de gens sur le côté, de par sa radicalité et son propos, film qui gratte mais en même temps film passionnant, dont la beauté n'est pas que dans sa plastique, dont la laideur n'est pas que dans ses révélations.
Vraiment convaincu pour ma part, vrai coup de cœur, hâte d'explorer plus en avant la filmographie de ce réalisateur.