Ce film a tout de l'expérience, et nous plongeons avec bonheur dans son ambition, suivre le parcours initiatique d'un enfant de six ans, Mason Jr, jusqu à l'orée de l' âge adulte, quand tout est ouvert devant vous, que cela vous fait peur et vous donne le vertige.
La simplicité implacable du dispositif, ne jouant que sur le temps et sur l'observation des personnages, confère à ce film l' épaisseur d'un livre, d'une série, jonglant entre l'intime, le trivial, et la condition humaine, et me réconcilie avec la création cinématographique, oui elle existe encore, le cinéma n'est pas mort devant la puissance dévorante et narrative des séries télévisées.
Filmer les mêmes acteurs sur une période de douze ans, utiliser comme bande son des chansons inscrites dans leur époque et en même temps connectées à ce que le film nous narre, au plus près des personnages. Aucune rupture, toujours garder la même distance, ne jamais souligner le changement de période , je reste sidéré par la fluidité de l'ensemble et cette capacité à enchaîner en toute discontinuité sans jamais briser le fil ténu du lien qui nous unit au héros, la magie du montage cinématographique.
Il nous reste mystérieux ce petit Mason, comme il l'est pour son entourage, sa mère, son père, ses beaux pères et sa sœur. Il n'est pas juste lymphatique ou timide, ado introverti ou en crise, il a juste une présence particulière, une sorte de distance à ce qui l'entoure qui prend tout son sens quand on découvre, de loin, sa passion: la photographie. Sacré défi tout de même que de suivre un photographe en herbe qui s'exprime moins avec ses mots que par ses photos. Son regard. le Regard d'Ellar Coltrane . C'est lui que nous regardons, mais en même temps j'ai eu le sentiment de découvrir son entourage à travers son regard, cette mère courage superbement interprétée par Patricia Arquette qui toujours recommence, cette grande sœur casse-pieds qui en surface s'assagit, et ce père enfin jouant son rôle avec la conviction du désespoir d'abord, puis le volontarisme d'un homme bien, décidé à construire sa vie avec ses enfants.
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Aucun de ces personnages n'évolue de manière attendue, chacun suit une trajectoire personnelle, avec des cassures, des échecs, tous cherchant à nouer de nouveaux liens, se remarier, avoir d'autres enfants, se faire des copains après un déménagement, se trouver un ou une petite amie, mais tous gardant le fil conducteur des liens qui les unissent. Une famille. Jamais portrait de famille au cinéma ne fut plus juste à mes yeux, que celui là.
Pour la simple et bonne raison que son auteur tourna en famille? Chez lui au Texas, en des lieux qui lui sont familiers. Avec un acteur fétiche, ( Ethan Hawke), sa propre fille ( Lorelei) , un jeune garçon dont il est devenu le père de cinéma ( Ellar Coltrane), et une comédienne à la générosité légendaire. Tout ce petit monde, nous le voyons à l' écran est devenu une famille au fil des années de tournage, une famille se retrouvant avec joie et curiosité devant l'évolution de chacun, nourrissant ainsi le projet artistique avec bonheur.
Le film a ses moments creux, ses personnages faibles, comme dans la vie, mais il a cet immense mérite avec une telle ambition, de tenir la note jusqu'au bout pour s'achever superbement.
"On ne saisit pas le moment, on est saisi par le moment."
La vie devant lui, nous partageons le vertige de notre héros parvenu au terme de son enfance. Devant lui un nouveau chapitre s'ouvre, celui de l'âge adulte.
Et lorsque le générique nous rappelle que ce n'est qu'un film, que nous venons de voir un film, nous réalisons, montre en main que la vie durant six années défila en moins de trois heures. Se réveiller d'un rêve qui me parut plus court est la sensation la plus proche que celle que je ressentis à ce moment là.
Je sais qu'avec le Temps, tout cela s'estompera, tout cela s'en ira en lambeaux de souvenirs, mais je n'oublierai pas ce qu'un père dit à son fils, qu'avec le temps on s 'endurcit, on devient moins sensible, et je ne peux empêcher mon esprit de vagabonder vers cette citation entendue dans Maestro, piquée à Lelouch: "jouissez de la vie, il est beaucoup plus tard que vous ne pensez."