J'avais déjà beaucoup apprécié "Bulworth" à l'époque de sa sortie, mais je ne me souvenais pas à quel point le film jouait à fond la carte du burlesque et de l'humour potache.
A titre personnel, je n'aurais pas craché sur une comédie politique un peu plus subtile à certains égards, mais il faut reconnaître qu'en l'état "Bulworth" fonctionne formidablement bien.
Et puis, dans la mesure où le principal ressort comique repose sur un politicard sexagénaire se mettant à faire des raps durant ses meetings et autres interventions médiatiques, il semblait difficile d'éviter cette tonalité rentre-dedans, souvent premier degré.
Parvenu à un âge vénérable en cette toute fin de IIème millénaire, et sans doute débarrassé de toute pression extérieure, Warren Beatty ose tout dans "Bulworth" : propos graveleux, allusions sexuelles voire scatologiques, absorption de drogues diverses, utilisation du "N word", et même une love story avec la jeune Halle Berry, de trente ans sa cadette
Incarnant le rôle titre, mais surtout producteur, réalisateur et scénariste de "Bulworth", Beatty décide de mettre un grand coup de pied dans la fourmilière du système politico-médiatique américain, n'oubliant d'égratigner au passage ni les industriels, ni les décideurs hollywoodiens, ni à un degré moindre le peuple et les afro-américains eux-mêmes, dont il n'hésite pas à épingler (gentiment) les travers (attitude victimaire, absence de leaders, délinquance juvénile…).
En effet, la question raciale est au centre du film, venant illustrer un aspect tangible de l'injustice profonde du système, et ce n'est évidemment pas un hasard si le rap est aussi présent dans "Bulworth", en tant que pilier de la culture afro-américaine.
D'autre part, s'il aurait été facile de caricaturer la clan républicain, Beatty a l'intelligence de coller l'étiquette démocrate à son héros, montrant ainsi que le problème est bien plus vaste qu'une simple question partisane.
Outre la dimension comique souvent irrésistible et la satire mordante du système, ce qui contribue à faire de "Bulworth" l'une des meilleures comédies contemporaines, c'est son scénario particulièrement malin. Généralement le parent pauvre du genre, le scénario bénéficie au contraire d'un soin particulier, rendant le récit captivant grâce à ses divers twists, qui viennent habilement relancer la mécanique narrative.
Et puis il y a ce dénouement formidable, aussi brillant qu'inattendu, ajoutant une profondeur supplémentaire au propos, qui semblait s'adoucir sur la fin, au point de tendre vers la guimauve. Mais Beatty est bien plus investi que ça, et ses intentions restent fermes jusqu'au bout.
J'aurais encore pu parler du personnage du clochard griot, des seconds rôles savoureux, de la bande originale ébouriffante, et de bien d'autres choses, mais je vous laisse les découvrir si vous ne connaissez pas encore cette petite pépite, qui reste très méconnue en France (à peine 130 notes sur SC).
Pour son quatrième long-métrage derrière la caméra, Warren Beatty ne signe pas le film parfait (on relève quelques lourdeurs et maladresses, et l'aspect formel apparaît quelconque), mais propose une satire politique de haut-vol, point d'équilibre miraculeux entre la farce et le pamphlet, entre la rigueur de la comédie classique et les outrances de la comédie contemporaine.