Le choix du documenteur n'implique pas forcément un parti pris de réalisation volontairement cheap ou versant dans l'amateurisme, voyez le génial Spinal Tap (1984) et sa mise en scène calibrée MTV, en revanche si l'option retenue est celle d'un rendu moins travaillé il faut que le film s'appuie sur un postulat de départ très fort, comme dans Punishment Park (1971) ou que le ton du film soit radical, comme ici.
L'idée d'une équipe de production de documentaires qui suivrait les pérégrinations meurtrières d'un tueur sans autre ambition que le gain Ben, pour nous livrer à nous spectateurs notre lot d'images chocs, étancher notre soif de sang et séduire notre inclination au voyeurisme, pouvait vite se heurter aux limites d'un tel scénario. En ornementant d'un humour corrosif et grinçant le film, l'effet en devient plus brutal.
Le tueur qui semble terroriser ou tout du moins impressionner les trois documentaristes, nous apparaît à nous comme un petit être sans envergure, lénifiant de bêtises que sa logorrhée et sa fatuité poussent à sans cesse débiter. Un avis sur tous les sujets, et autant de certitudes que d'ignorance. Aussi très vite le caractère proprement burlesque et quelque peu surréaliste de ce Ben nous happe et nous sommes fascinés par ses propos, qui sont à la fois d'une drôlerie caustique et d'une violence sociale rare. Comment ne pas lui donner raison dans son analyse des quartiers sociaux pensés sans la moindre notion d'esthétisme.
En maniant l'absurde, le film nous oblige à nous poser les questions du déterminisme social.
En maniant l'humour noir il nous renvoie à nos miroirs ceux dans lesquels nous nous mirons après notre lot d'actualités morbides, l'affaire du "petit grégory" qui défrayait les chroniques judiciaires quelques années avant l'illustre parfaitement, nous sommes passés du statut de témoins à celui de spectateurs, et nos frontières morales de bouger, jusqu'à nous faire rire du meurtre d'un enfant.
En maniant l'insolence comme l'enfant farceur manie le poil à gratter, le film nous accule dans nos retranchements et quand dans une habile bascule de points de vues, l'équipe n'est plus juste là pour rendre compte, mais devient actrice de ce qu'il se passe, qu'en est-il de nous. Sommes nous toujours de simples et neutres spectateur ou sommes nous déjà les acteurs de tout ceci ?
Insolent, grinçant, cynique, dérangeant, unique, satirique, corrosif, punk et culte, définitivement culte et définitivement un coup de maîtres.