Adapter Ça de Stephen King n'était pas une mince affaire. Pas uniquement parce que l'histoire d'amour entre le cinéma et l'écrivain est pavée de déceptions et horreurs : publiée en 1986, cette histoire centrée sur un groupe d'amis qui affronte une entité terrifiante dans la petite ville de Derry, est certainement l'une des œuvres les plus riches de l'auteur. Ça a des airs de pièce maîtresse dans sa carrière, à la fois pour son approche absolue de l'horreur et son portrait terriblement beau et douloureux de l'enfance. Si le livre est en grande partie connu grâce au téléfilm culte des années 90 avec Tim Curry, le champ était largement libre pour en tirer un film plus noble. Avec la Warner et New Line (derrière Conjuring et compagnie), le réalisateur de Mama Andrés Muschietti et le succès de Stranger Things pour confirmer l'intérêt du public, Ça est donc revenu...
Si la dimension pédophile de Grippe-Sou n'avait pas échappé à Stephen King, la trouble relation incestueuse entre la petite Beverly et son père est tout aussi dérangeante. Dans une séquence particulièrement éprouvante du film, Beverly est aspergée par un geyser de sang jaillissant du lavabo de sa salle de bain. Alerté par ses cris, son père accourt dans la pièce… mais ne voit pas le sang qui recouvre les murs. Comme il ne voit pas sa fille grandir et devenir une femme. Avec cette scène de « tuyauterie », Muschietti fait presque aussi fort que De Palma quand il examinait les premières règles douloureuses de Carrie...
Comme le Père Noël, les clowns sont a priori perçus comme des figures bienveillantes. Mais Ça détourne l'image positive de l'artiste comique du cirque. Dans le costume grotesque et bariolé de Grippe-Sou, le comédien suédois Bill Skarsgard réussit à faire oublier la prestation, pourtant mémorable, de Tim Curry dans la mini-série. Le visage boursouflé par le mal, le strabisme parfois divergent, ce monstre sadique et ricaneur, aux dents acérées comme des lames de rasoir, est la grande attraction de ce film d'épouvante. Skarsgard apporte en effet une vraie folie à ce clown-tueur, matérialisant toutes les angoisses et les mauvaises pensées des citoyens de Derry.
Le long-métrage de Muschietti ne se résume pas à des litres d'hémoglobine, même s'il va assez loin dans la représentation de la violence. Certaines séquences horrifiques sont d'ores et déjà estampillées cultes (la première apparition de Grippe-Sou, la rencontre d'Eddie avec un SDF lépreux, l'agression de Stanley par une femme échappée d'un tableau, la séance de diapo qui tourne mal). Très soigné visuellement, le film est surtout une belle histoire d'amitié et de solidarité entre une bande de jeunes adolescents un peu exclus. Il y a du cœur dans cette œuvre d'une grande tendresse avec ses personnages, touchants et bien dessinés. Ce qui fait de Ça la meilleure adaptation de Stephen King au cinéma depuis The Mist, il y a dix ans. Ici l'œuvre est d'une grande richesse thématique et très fidèle à l'esprit et à l'imaginaire du maître de l'épouvante !!!