Ca fait partie de la fabrique de la jeunesse de beaucoup de lecteurs et de spectateurs français comme américains. L'histoire, celle d'un groupe de pré-adolescents confronté à des phénomènes paranormaux provoqués par un clown mangeur d'enfant, est l'équivalent du vingtième siècle de ces contes des frères Grimm où violence, abus, et inquiétante étrangeté sont monnaie courante. Si vous écumez internet, vous lirez bon nombre de témoignages de lecteurs et spectateurs qui ont grandi avec le livre de Stephen King de 1986 ou le téléfilm qui est sorti quelques années plus tard et qui ont soit beaucoup aimé ce film, soit vont probablement l'adorer.
Cette adaptation se singularise par son rapport particulier à la nostalgie, ou la prétendue nostalgie des années 80. Le film se concentre sur les enfants, sans leur version adulte, et se déroule dans la décennie qui était un univers à elle seule, prompte aux fantasmes des Goonies, d'ET qu'on a vu décliné tant de fois ces dernières années, avec Super 8 et Stranger Things. En terme de machine à nostalgie, voilà donc une configuration optimale. Les spectateurs revivent à la fois leurs souvenirs des années 80-90 lorsqu'ils lisaient le livre, et leurs souvenirs fantasmés des films des années 80 qu'on a tous vu, ou dont on a tous entendu parlé, ou dont l'esthétique a contaminé l'imaginaire américain collectif. Le film, très conscient de cette machine à susciter les madeleines de Proust par paquet de douze, joue évidemment avec ces codes: les plans aériens d'une petite ville américaine sous un soleil éclatant, les enfants qui passent la moitié du film sur leur bicyclette jusqu'à ce qu'ils la laissent tomber négligemment sur le gazon vers leur prochaine aventure, (ou la prochaine scène décrivant des abus domestiques d'un parent malsain), les références obligatoires, sur le fronton d'un cinéma de quartier aux films qui passaient à l'époque, Batman et l'Arme Fatale 2, les brutes épaisses que les enfants doivent éviter à tout prix. Le film ressemble à une checklist géante où toute case est cochée, toute occasion pour exciter la nostalgie des spectateurs est exploitée. Si mon expérience des machines à nostalgie m'a rendu très prudent vis à vis des productions qui dépensent des budgets de blockbuster moyen à tirer le lait des spectateurs en mal de souvenirs, je dois avouer que CA est probablement l'une des meilleurs oeuvre issues de cette tendance d'Hollywood a considérer les années 80 comme le pic culturel de notre civilisations.
La raison pour laquelle tout cela marche, et bien mieux, à mon sens, que Super 8, provient de l'histoire originale. Super 8 de JJ Abrams était un film de 2011. Il avait été conçu comme le clown tueur, du film CA. Il portait les oripeaux de la nostalgie de ses spectateurs et se contentait d'en appliquer la substance sans l'essence, d'user d'un costume sans faire autre chose que mimer les années 80 pour nous y faire croire. Si CA (2017) peut s'en sortir en jouant avec la nostalgie 80s, c'est précisément parce que le matériel original a été écrit dans les années 80 par un Stephen au sommet de sa forme de storyteller cocainé et alcoolisé. Certes le film emprunte beaucoup d'éléments catalyseurs à nostalgie mais l'histoire provient de cette époque même. La véritable gageure des auteurs de ce film est de retrouver la substance des relations des enfants de Derry et de nous faire vivre cette aventure de la terreur à leur échelle. A cet égard, le film remplit magistralement son rôle, et l'on vit les aventures des enfants en pure empathie de leur problèmes, de leurs histoires et de leurs aventures. Il faut louer l'écriture, le jeu d'acteur et la cinématographie. Cette dernière nous garde toujours à hauteur d'enfant, montrant des adultes étranges et effrayants en contre-plongée, des "dutch angle" virevoltants qui accentuent l'étrangeté des différents lieux fondamentaux qui incarnent des lieux-dits de conte de faits, pour des personnages dont l'univers n'est que Derry, perdu dans le Maine et pour qui "L'abbatoir" "Le puits" "La maison des défoncés" sont des morceaux essentiels de leur psychés et de leur vie. L'écriture et le jeu des enfants est constamment juste, même lorsqu'un gosse doit être énervant, lourd, vulgaire, sympathique, généreux. Pennywise, le clown mangeur d'enfants joue ici un Ogre transdimensionel qui ne prend jamais trop de place ni ne détourne l'attention des protagonistes. Il est l'élément d'anormalité qui révèle aux personnages des vérités sur leurs peurs et leurs vies, mais il n'est en aucun cas l'attraction centrale, et c'est un exercice d’équilibriste que l'acteur et le réalisateur ont, à mon avis, parfaitement exécuté.
Le film est à hauteur de ses personnages, à hauteur d'enfants qui vivent des histoires qui les projette dans un monde d'adulte fait de trauma, de sexe et de peurs qu'ils ne comprennent pas encore et c'est, à ce niveau, une vraie réussite.
Tout cela me rend cependant très curieux quant à la deuxième partie de l'histoire, qui est sensée sortir en 2019 et se dérouler en 2016. Sans l'élément nostalgique des films Amblin, sans le cast parfait des jeunes adolescents, sans ce jeu de caméra qui garde cette dynamique constamment intéressante de révélation d'un monde d'enfants pour un public de tous âges, que va-t-il rester de ce qui est, par ailleurs, la moins bonne partie de l'histoire inventée par Stephen King? On peut espérer qu'une équipe qui a redonné à CA ses lettres de noblesse rougeoyantes aura de quoi relever le défi.