Il y a chez Bob Fosse, cette relation étroite de la scène à la ville, du show au réel. Cette idée est explorée dans tous ses films avec comme illustration ultime son All that Jazz où les deux mondes étaient étroitement imbriqués. Life is Cabaret.
Dans Cabaret, les séquences sur scène sont là pour retranscrire et amplifier la vision du réel. Pour le caricaturer. Mais ce réel est déjà lui-même traité par Fosse de façon déformée, exagérée. Un réel à deux niveaux, au premier plan la relation « amoureuse » entre Sally la chanteuse du Kit Kat Club et Brian l'universitaire anglais et en toile de fond l'avènement et la montée en puissance du nazisme. Le film joue en permanence avec ces trois niveaux, scène, couple et arrière-plan (qui contamine peu à peu tout le reste). Plus le film avance, plus l'ambiance se fait pesante, malaisante, grinçante justement par la façon dont Fosse mêle les éléments. Le regard artistique sur les événements, le divertissement, et surtout une correspondance délicate et un reflet entre ce qui se joue en intimité : la rencontre de ces deux personnages, leur façon d'évoluer, la question de l'amour au sein du couple, puis le rejet de cet amour, l'avortement, et ce qui se joue à plus grande échelle.
Cette évolution se ressent également par la mise en scène. Elle démarre de façon éclatante, enlevée, la géniale séquence musicale Mein Herr, et s'affadit au fil des minutes pour devenir de plus en plus triste et morbide. Bob Fosse décrit avec noirceur un monde qui avorte l'amour pour aller vers la mort.