Cadavres Exquis fait partie de ces films sans compromis qui traite leur sujet à bras le corps sans jamais donner la possibilité au spectateur d’échapper au spectre de l’inéluctabilité. Brulot politique ou métaphore désenchantée ? Le film de Francesco Rosi montre une enquête en eaux troubles qui dès la scène d’intro, une musique ronflante désaccordée, une photographie grisâtre restituant parfaitement l’ambiance de cette époque des années dites de plombs, qui plongèrent la société italienne dans un profond marasme, et ce vieux magistrat qui déambule clopin-clopant traversant un mausolée composée de momies, vestige d’un temps passé. C’est extrêmement sombre et ça ne cessera de l’être, jusqu’à la toute dernière image.
Le film est une adaptation d’un roman de l’auteur de polars maffieux Leonardo Sciascia, dont le livre Il Giorni Della Civetta (La Maffia Fait La Loi en France) fut adapté au cinéma par Damiano Damiani avec Franco Nero et Claudia Cardinale. Plusieurs de ses œuvres feront l’objet de films par des réalisateurs comme Elio Petri ou Giovanni Grimaldi.
Il s’agit donc d’une enquête policière dans laquelle l’inspecteur Rogas, impeccablement, une fois n’est pas coutume, interprété par Lino Ventura, tente de résoudre une affaire de crimes à répétitions dans le milieu de la magistrature. Plus il s’approchera de ce qu’il pense être la vérité, plus il semblera creuser sa propre tombe. Un climat extrêmement lourd et sombre, absolument aucune place pour la compromission ni le moindre soupçon d’espoir dans ce film d’une noirceur absolue qui dresse un état des lieux d’une société italienne plongée dans une sorte de corruption des profondeurs qu’il ne vaut mieux pas trop creuser sans y risquer de ne plus pouvoir en ressortir vivant.
On retrouve une ambiance de paranoïa absolue qui fait souvent penser à l’excellent The Conversation (Conversation Secrète) de Francis Ford Coppola. En creusant dans les tréfonds d’un monde sous-terrain de l’univers de cette institution, la justice en l’occurrence, que l’on pense anoblie par des apparats de respectabilité, l’inspecteur s’enfonce peu à peu dans une sorte d’enfer dont il ne pourra plus ressortir. Sans concession, le film dézingue à peu près toutes les institutions sans absolument le moindre compromis, on est très loin des point de vue tarte à la crème de défonceurs de portes ouvertes dont nous abreuvent bien des pseudos cinéastes sociopathes d'aujourd'hui. Tout le monde passe à la moulinette du politiquement incorrect dans ce film, même si l’on connait le véritable engagement politique de Rosi, qui à l’image d’un Elio Petri, ne cachait pas son militantisme avérée sous de la gaudriole pour sociopathe "pouet-pouet", mais croyait réellement à ses idées.
Rassemblant une belle palette d’acteurs internationaux du meilleur acabit, puisqu’on y retrouve Max Von Sydow, Fernando Rey et Charles Vanel, ainsi que l’excellent Alain Cuny, dans des rôles de magistrats qui vont tour à tour se faire dessouder, le film se perd parfois dans une sorte d’excès de noirceur qui finit par contaminer à peu près tout. De la partition musicale mal-aimable de Piero Piccioni, à la photographie terne qui rajoute à l’ambiance généralisée, au jeu parfois un peu trop statique des différents protagonistes, le traitement stricto sensu de Rosi peut rebuter. Mais n’est-ce pas le rôle d’un brulot désillusionné ? Je lui préfère, le traitement du Conversation Secrète de Coppola personnellement.