Calamity est un récit d’apprentissage ouvertement féministe. On pourra trouver qu’il force le trait en faisant des pères de famille des êtres aussi défaillants : celui de Martha Jane se blesse dès le début du film et devient un fardeau ; celui de Ethan, le meilleur ennemi de Martha, voit son autorité de chef de convoi contestée par un militaire de passage. Quant au personnage féminin à la tête d’une exploitation de chercheurs d’or, alter ego adulte de la future Calamity qui la prendra sous son aile, celle-ci s’appelle carrément… Mme Moustache !
Mais le reproche serait un peu simple. D’autres personnages jouent un rôle important dans la mue du personnage principal et ils sont bien masculins (Jonas, le militaire cité plus haut). Il ne s’agit donc pas d’écarter tous les hommes du chemin qui mène à l’émancipation. Cependant, le symbole le plus fort de cet ancrage féministe c’est bien entendu le pantalon. Obstacle matériel (c’est plus facile pour monter à cheval) aussi bien que social (ce n’est pas bien vu d’en porter quand on est une fille à cette époque), il n’est ni plus ni moins que la rançon de la liberté de Martha : c’est sans doute d’abord pour cette raison qu’elle sera rejetée par sa communauté. Pour bien comprendre sa force symbolique, rappelons qu’en France la loi qui interdit le port du pantalon n’a été abrogée qu’en… 2013 !
Evidemment, celle-ci était tombée en désuétude depuis longtemps. Il s’agissait pour les femmes de demander une « permission de travestissement » à la préfecture pour être autorisées à porter un pantalon. Et le film reprend intelligemment cette idée de travestissement à travers son personnage principal. En portant un pantalon, en se coupant les cheveux (pour mieux se bagarrer !) et en rêvant d’une vie d’aventures, Martha Jane se déguise, un peu malgré elle, en garçon. Une scène fait d’ailleurs écho au film Tomboy (Céline Sciamma, 2011) dans une situation quasi identique : lorsqu’elle rencontre Jonas, un jeune trappeur, celui-ci la prend immédiatement pour un garçon. Martha choisira de lui cacher sa véritable nature. Une autre scène très amusante : lorsque Martha, pour pouvoir mener son enquête dans un camp militaire sans éveiller les soupçons doit se déguiser… en fille ! Et le travestissement sera également à l’œuvre chez le personnage du militaire comme elle le découvrira plus tard.
Nul doute que le cinéma a besoin de ce genre d’héroïne pour inspirer les jeunes filles qui, encore aujourd’hui, sont assignées à certains comportements, certaines tâches, certains métiers. L’indépendance est une conquête, un horizon aux couleurs aussi éclatantes que ce film au graphisme puissamment chamarré. Pour Calamity Jane, la conquête de l’Ouest américain est d’abord une victoire durement acquise sur le sort réservé aux femmes. Un guêpier – et même une guêpière ! – dont on s’extirpe au grand galop sous le ciel étoilé des Rocheuses, le yeux tout droit dirigés vers la liberté.