Camille Claudel 1915 par Teklow13
Chez Dumont il y a toujours eu un travail de mise en scène parallèle sur le corps et le paysage.
Regarder et comprendre un corps, regarder et comprendre un paysage, et voir comment les deux éléments parviennent à cohabiter dans le plan.
Dumont filme des corps et des visages comme des paysages (quelque chose de presque Leonien) et des paysages comme des corps (mouvants, sensuels, lumineux ou tristes).
Ce dernier film est tout à fait dans la démarche du cinéaste, mais s’en écarte légèrement. Ici le corps est privé de paysage. Le cinéaste choisit de filmer 3 jours durant lesquels Camille Claudel est enfermée dans l'asile d'aliénés de Montdevergues. Trois longs jours qui synthétisent les 30 ans d’enferment de l’artiste ; jusqu’ à sa mort. Dumont saisit l’attente, l’ennuie et l’horreur du quotidien, la cohabitation avec les autres malades. Et puis il filme Paul, Paul seul face à lui-même, et Paul qui vient rendre visite à sa sœur le troisième jour.
Ce film est presque l’antithèse du précédent, Hors Satan, qui était son film le plus aéré, le plus extérieur, sans frontières ni limites.
Le cadre de Camille Claudel définit dès la première scène ses limites, ses bordures.
Camille est enfermée dans cet asile d’où le corps ne peut fuir. Si ce n’est lors d’une sublime scène de promenade dans les Alpilles où l’évasion, le parfum de liberté envahit le cadre, sans jamais que Camille ne saisisse la moindre occasion de tailler la route.
Et cette scène de montrer que Dumont est actuellement un de cinéastes qui capte le mieux un paysage, un extérieur avec tous les éléments qui le composent et ce qu’ils racontent. Et lui suffit de quelques plans pour tout comprendre des Alpilles, et de saisir toute la beauté d’un tel lieu.
Dumont ancre le corps de Camille dans cet asile grâce à 2 ou 3 plans qui suffisent pour montrer la routine et l’ennui de ce quotidien. A l’image du travail de Dumont, Camille attend et regarde. L’un attend ce qui va illuminer le plan, ou le faire dérailler, l’autre attend le jour et elle pourra sortir ou, à défaut, ce qui va illuminer sa petite journée (l’annonce de la venue de son frère par exemple).
Mais cet enferment dans le cadre renvoie également à ce que le corps renferme.
Lorsqu’il filme Camille Claudel, lorsque l’on voit Binoche évoluer, il est difficile de voir si elle est réellement malade, psychotique. Son comportement peut paraître « normal », lorsqu’elle se trouve au milieu des autres patients, mais il paraît plus étrange au contact des soignants et de son frère.
Dans ce film Dumont fait ce qu’il n’a jamais fait auparavant, il filme une actrice professionnelle. Il filme un corps et un visage que tout le monde connait. Mais il ne fait pas l’erreur de la filmer autrement que ses acteurs amateurs et que les autres malades qui sont réellement des malades.
Il la regarde simplement en attendant de voir les choses sortir ou non : sa vraie folie, ses désirs, sa peur,… C’est aussi peut être là la limite du film. A travers ces visages qu’il nous donne à contempler, on peut ressentir un malaise et une sorte de complaisance. Que ce soit face à Binoche qui, par le jeu, fait sortir des émotions (larmes, sourires,…) ou face aux vrais malades (qui eux racontent une histoire avec leur visage et leur vérité). Il y a ce côté freaks un peu dérangeant, dans la façon, peut être, de trop s’attarder. C’est à double tranchant, ça peut donner des choses merveilleuses, lorsque les malades jouent Don Juan (merveilleux autant de leur côté que du côté de Binoche en contre-champ qui les regarde), comme des choses plus gênantes (la première scène de repas où le côté freaks ressort trop et la scène avec le docteur où le jeu de l’actrice, Binoche, est trop voyant).
L’enferment du lieu engendre également le renfermement sur soi. Camille ne peut, à la fois, plus sortir du cadre, mais elle ne peut plus non plus laisser échapper ses désirs et son énergie créative. Etouffée par les cris des malades et le gris des murs, elle engloutie tout ça dans son petit corps, toute sa vie passée qui macère, et ne peut déborder que par l’intermédiaire des larmes.
Au ¾ du film, Dumont change de cap. Il laisse tomber Camille, qui était au centre du plan, pour quelques scènes, pour s’attarder sur Paul. Un autre corps, encore plus intrigant, qui lui aussi renferme des choses, une autre folie, une autre énergie créative. Il le filme face à dieu et à lui-même, lors de l’ascension nocturne d’une colline, ou encore nu devant sa petite table en train d’écrire et de se regarder les muscles. A travers ce personnage intervient une autre thématique centrale de l’œuvre de Dumont, la croyance et la religion, et la folie qui s’en dégage, sans jamais, toutefois, que le cinéaste ne la filme comme telle. Paul aussi est un homme enfermé dans ses croyances, rongé tout autant par la religion que par l’art qui contamine son corps.
Dumont filme ces deux portraits torturés avec la rugosité, la sécheresse, mais aussi la sensualité qui fondent son cinéma. Et si, malgré tout, des choses peuvent apparaitre gênantes ou maladroites, c’est un beau film.