Le film montre un moment de la vie de Camille Claudel : 1915, l'année où elle est enfermée depuis deux ans dans un asile d'aliénés près d'Avignon, après être passée par l'hôpital de Ville-Evrard, dans la banlieue parisienne, enfermée sur décision de sa famille (il est utile de le préciser).
Tout le génie de Bruno Dumont consiste à nous faire oublier l'actrice Juliette Binoche en la transfigurant en Camille Claudel d'abord par uns scène de nue (le bain) puis par des plans très serrés, principalement centrés sur son visage. Et on peut dire que ça marche : Binoche joue à merveille la folie de Camille : alternance de crises de pleurs, d'angoisse, de rares sourires, voire de rire.
Camille est dans le néant, en fermée contre son gré, auprès de personnes nettement plus handicapées qu'elle, ressassant les scènes de sa vie passée : ses œuvres volées, sa relation avec Rodin qui lui a tout pris. Elle est dans l'impossibilité de créer, la scène où elle s'empare d'un morceau de terre qu'elle n'arrive pas à modeler l'illustre bien.
Son seul espoir : la visite de son frère Paul qu'elle adore et qui pourrait la libérer. Camille retrouve alors le sourire, profite de quelques sorties dans une nature magnifique entourant l'asile, accompagnée d'autres malades et des sœurs infirmières toujours bienveillantes. Elle arrive même à se prendre d'affection pour une autre pensionnaire qui s'est attachée à elle. Mais la scène du théâtre fait renaître l'angoisse qui l'assaille : cela lui évoque trop sa relation adultérine avec Rodin. Elle passe ainsi du rire aux larmes.
La mise en scène est volontairement hyper réaliste en même temps que très dépouillée. Ce qui émerveille ce sont les visages : visage d'abord de Camille empreint de souffrance, visages des pensionnaires (des malades mentaux et non des acteurs), visages emplis de bonté des sœurs, visages des médecins et enfin visage de Paul, le frère qui apparaît dans le dernier tiers du film.
Paul, joué par un Jean-Luc Vincent (acteur plus connu au théâtre) formidable, est comme le jumeau de Camille : sans doute aussi fou qu'elle mais lui, en plein ascension, poète reconnu, touché par un mysticisme quasiment délirant. Il aime autant qu'il honnit sa sœur, d'ailleurs il ne la fera jamais sortir de l'asile puisqu'elle y meurt à l'âge de 79 ans ....
Leur confrontation est superbe : elle dans son délire de persécution, lui dans sa froideur. Il ignore sa demande de quitter cet endroit et plaide pour la décision de leur mère et de leur sœur de l'enfermer "pour son bien".
Bruno Dumont s'est inspiré de la correspondance entre le frère et la sœur. il faut savoir que les médecins qui ont suivi Camille ont régulièrement écrit à sa famille, qu'hormis un délire de persécution avéré, son état lui permettait de quitter l'asile. Mais sans doute, gênait t'elle trop ....
Pour approfondir et découvrir la vie de Camille avant l'enfermement, je vous conseille :
1/ le livre d'Anne Delbé "Une femme"
2/ et bien sûr le film de Bruno Nuytten, "Camille Claudel" avec Adjani et Depardieu.