L'argument principal de Canción sin nombre fait référence à un trafic d'enfants dans le Pérou des années 80 que le père de la réalisatrice, Melina León, contribua à dénoncer, en tant que reporter. Mais au-delà de la triste réalité des faits, le film élargit son propos en dressant un portrait très sombre d'un pays alors en proie à la violence du Sentier lumineux et des militaires, à la corruption des appareils politique et judiciaire et à une récession économique paroxystique. L'une des périodes les plus sombres de l'histoire récente du Pérou au milieu de laquelle ses deux personnages principaux, une mère dont l'enfant a été volé à la naissance et un journaliste qui mène l'enquête, mènent une lutte presque dérisoire. Ce sont deux marginaux, l'une parce que pauvre et d'origine quechua, l'autre à cause de sa sexualité "déviante." Des citoyens de seconde zone, en quelque sorte, que le film suit séparément ou ensemble dans une atmosphère opaque et un environnement quasi kafkaïen. Canción sin nombre n''est pas une œuvre si facile d'accès, exigeante même, car s'autorisant de nombreuses ellipses et ne cherchant pas à guider le spectateur dans ce qu'il ne comprend pas. La photo en noir et blanc et le format 4/3 participent d'un style très dépouillé, voire austère, que la finesse de la mise en scène parvient à tirer de la sécheresse. Melina León, dont c'est le premier long-métrage, évite facilement le misérabilisme et sollicite aussi bien les sentiments que l'intelligence de son auditoire. Le film rappelle parfois, le réalisme magique en moins, le cinéma de sa compatriote Claudia Llosa (Madeinusa, Fausta), hélas perdue de vue depuis quelques années.