Il faudrait revoir "Captain Blood" en se focalisant à chaque fois sur un des éléments qui en font une œuvre si éblouissante, un sommet qui témoigne de ce que le cinéma américain a pu faire et inventer de mieux au cours de son histoire.
Cette réussite doit à plusieurs ingrédients réunis avec le plus grand bonheur mais elle symbolise avant tout l’affirmation d’un studio au top de sa forme, la Warner, réinventant ses stars et renouvelant les recettes de son succès dans des films qui privilégient l’action et le rythme.
Le rythme, à la base de "Captain Blood" et qui en fait un divertissement captivant tout le long, s’accompagne de nombreuses touches qui s’additionnent sous la patte de Michael Curtiz pour atteindre ce qui représente à mon avis un sommet (et un modèle que Curtiz fera fructifier dans ses films ultérieurs pour le studio) dans un style qu’on pourrait qualifier de "film d’action esthétique".
L’esthétique en question est d’abord celle de l’image, somptueuse, qui mêle dans une hybridation qui rappelle le temps des grands mélos muets (ceux de Borzage ou "L’Aurore") le glamour et l’expressionnisme : glamour des éclairages qui irisent les chevelures dans les plans rapprochés (un côté très "Harcourt") et expressionnisme que Curtiz, formé à l’école allemande, affectionne particulièrement et qu’on peut apprécier dans certains plans magnifiques (comme la séquence nocturne du bombardement de Port-Royal). La qualité de la photographie participe à ce style en restituant dans un noir et blanc aux contrastes très doux de belles nuances de gris, prenant des tons crayeux dans les scènes nocturnes.
Mais elle est aussi dans la beauté des décors (les parties de la ville construites en studio avec les maisons, le quai, les maquettes de bateaux) que Curtiz intègre merveilleusement pour favoriser ses compositions, les déplacements des acteurs et le travail à la caméra.
La réalisation est sans faille, d’une régularité métronomique, enlevant tout le superflu (précision des fondus, ajout de texte en surimpression permettant de faire l'économie de scènes explicatives) pour ne garder que le nécessaire, en recourant à chaque fois aux moyens de la mise en scène : cadrage, montage, mouvements d’appareil. Les mouvements, si discrets soient-ils, sont toujours parlants (comme dans cette scène du tribunal au début où la caméra part d’une moulure représentant le blason royal pour révéler en dessous la herse menaçante derrière laquelle se déroule le "procès" des rebelles ; ou cette autre, chez les docteurs Diafoirus, où un changement de valeur de plan permet d’éclairer les sous-entendus dans les paroles de Blood).
Il faut encore souligner la distribution, les seconds rôles (Basil Rathbone, Lionel Atwill, le délicieux Donald Meek ou le rigolo Forrester Harvey) et le couple de vedettes Havilland-Flynn qui, réuni pour la première fois, crève l’écran. Sans compter la musique de Korngold qui achève de donner ce ton rythmé de film d’aventures à la fois joyeux et romantique. Sans compter non plus les scènes d’anthologie (le fameux duel que se livrent, tout sourire et mèche au vent, Blood et Levasseur, le "french rascal"), l’humour souvent présent, et la beauté qui se dégage du moindre plan.
Bref, un film parfait.