Avant de se demander si Kenneth Branagh, pris dans l'étau hollywoodien, a définitivement perdu la flamme, il faut tout d'abord se demander s'il l'a jamais eue : là où ce Cendrillon sans étincelles est loin d'être la catastrophe industrielle annoncée (au contraire, The Ryan Initiative était l'étron que personne n'avait vu venir), il n'en reste pas moins difficile, une nouvelle fois, d'en percevoir l'âme. De fil en aiguille, l'homme de théâtre brillant semble s'être définitivement résolu à ne livrer que des œuvres dépossédées d'elle-même et privées de visions. Mais les corps de cinéma sans esprits n'ont pas que des mauvais côtés : loin des délires des dernières productions Disney, l'inénarrable Maléfique en tête, visant à actualiser et surtout à maltraiter à tour de bras un patrimoine certes désuet mais non moins magnifique, Cendrillon prend le parti de suivre presque à la lettre sa déclinaison animée, déjà relativement fidèle au conte de Perrault, à quelques édulcorations près. Une poignée d'ajustements sont inévitablement apportés au matériau d'origine, et Cendrillon devient un brin plus volontaire, sa belle-mère un brin plus torturée, tandis qu'un axe narratif entier est dévolu au Prince unidimensionnel afin de pouvoir atteindre la durée incroyablement artificielle, considérant l'absence quasi-totale d'enjeux substantiels, d'une heure quarante minutes.
Le reste du long métrage navigue en terrain connu, mais décide d'ériger le kitsch en norme fuyante et vaporeuse, presque involontaire. La technique souvent admirable, que ce soit dans la conception des costumes ou des décors (les lignes parallèles très pures et les volumes du château rappellent d'ailleurs Hamlet, du même Kenneth Branagh), n'a d'égale que le mauvais goût qui domine l'intégralité du geste artistique, saturé de carton pâte, de sucre, de paillettes et de références touchantes mais particulièrement maladroites, comme aux Hasards heureux de l'escarpolette de Fragonard, peinture déjà exploitée fugacement dans La Reine de Neiges. Si quelques jolies fulgurances accidentelles rappellent tout à la fois l'âge d'or du cinéma hollywoodien et les productions plus intimes de Jacques Demy, sans que la filiation ne soit jamais ouvertement creusée, la main paresseuse de Disney peine à produire autre chose qu'un divertissement familial atone et vain, sauvé de peu du cynisme le plus abject pas un certain savoir faire de conteur, malheureusement loin d'être partagé par l'infâme court-métrage Une fête givrée, diffusé en préliminaires. Mais les illusions ne durent jamais (et n'est-ce pas là le propos même de Cendrillon ?), et l'absence cinglante d'imagination de la maison mère et de ses artisans, couplé à un agenda particulièrement chargé, laisse présager le pire pour les mois à venir.