Pourquoi "Chair de poule" est-il si mal considéré au sein de l'œuvre de Duvivier, alors qu'il s'agit d'un film noir plutôt réussi?
D'abord parce le film arrive tardivement dans sa filmographie, à une période où le réalisateur est vertement critiqué par la nouvelle vague, bêtement assimilé au cinéma "inoffensif" de certains faiseurs type Jean Delannoy ou Christian-Jaque, estampillés qualité française.
Ensuite parce qu'effectivement, "Chair de poule" n'atteint pas la justesse et la profondeur des meilleurs noirs de Duvivier ("Voici venu le temps des assassins", "Panique", "Pépé le Moko").
Et puis aussi parce que le schéma narratif rappelle beaucoup celui du "Facteur sonne toujours deux fois", roman de James M Cain déjà adapté trois fois au cinéma, par Pierre Chenal, Luchino Visconti puis par Tay Garnett, une vingtaine d'années auparavant.
Adapté en réalité de James Hadley Chase (et non de Cain), "Chair de poule" n'est donc pas un modèle d'originalité, mais se suit néanmoins avec intérêt, porté par son trio de comédiens.
La brune et charnelle Catherine Rouvel diffuse un charme vénéneux dans le rôle de Maria, tandis que Robert Hossein se montre convaincant dans la peau du héros sur la brèche s'efforçant de conserver une certaine droiture, et que Jean Sorel tire profit de son physique avantageux pour composer un personnage indéchiffrable.
Le décor isolé se révèle tout à fait cinégénique, de même que les seconds rôles pittoresques qui peuplent ce coin paumé des Alpes-Maritimes (tournage à proximité du Col de Vence) : l'impeccable Georges Wilson, l'inquiétant Lucien Raimbourg, le colosse Jacques Bertrand, mais aussi Robert Dalban ou Jean Lefèbvre...
Finalement, je pointerais deux principaux reproches : la gestion du rythme (le film comporte quelques longueurs) et la présence incongrue de deux scènes hors-sujet, qui semblent trahir maladroitement le regard critique de Duvivier sur la société moderne (la fête avinée de l'équipe de rugby, et surtout l'irruption d'un couple mal assorti, avec une jeune écervelée qui danse le twist).