Premier film parlant d'Alfred Hitchcock et du cinéma britannique, Blackmail n'est pas encore à la hauteur de ce que le cinéaste saura livrer quelques années plus tard mais se pose en témoin de ses recherches formelles. Le tournage étant largement entamé lors de l'arrivée de cette nouvelle technologie aux nouveaux horizons, l'auteur a intelligemment mêlé
séquences muettes et apparition des dialogues
pour construire un suspense certes intense mais diablement long à se mettre en place.
Alice, fiancée à l'inspecteur Franck Webber, se laisse raccompagner par un jeune et séduisant peintre qui l'invite à venir visiter son atelier. Quand celui-ci tente d'abuser de son innocence, désemparée et paniquée, elle ne trouve d'autre alternative pour s'en débarrasser qu'un couteau sur la table de nuit. Au matin, le fiancé est appelé sur les lieux du crime. Ramassant là un gant de son aimée, il croit pouvoir la protéger. Jusqu'à ce qu'un inconnu en possession de l'autre gant vienne les faire chanter : probité, conscience, les tourtereaux sont acculés dans leurs propres impasses.
Il y a
un long et lourd déséquilibre
qui maintient le métrage : avant l'arrivée de dialogues, une bonne partie du film est montée en musique dans la plus grande tradition du cinéma muet. Ainsi, l'image est longtemps cantonnée au rythme théâtral de tableaux animés : longs plans d'ensemble redondants entrecoupés de rares portraits et de quelques inserts bien sentis. L'introduction est longue et le réel corps du suspense ne tient que les dernières vingt minutes. Si l'ensemble est ponctué de
quelques exagérations visuelles du maître sur d'importants détails,
si tous les indices du polar sont mis en lumière avec l'intelligence logique du film policier, c'est seulement cet ultime segment qui développe une forte tension, dans l'installation et la résolution, rapides, du chantage qui donne son titre à l'œuvre.
Côté photographie, la sensation est identique : plans d'ensemble légèrement surexposés, contraste fragile de la pellicule de l'époque, face à des portraits et des inserts travaillés méticuleusement, où la touche d'expressionnisme du maître s'installe doucement. C'est bien au son, malgré quelques dialogues superflus, que l'on trouve les meilleures interventions techniques : la boucle sourde de ce mot répété qui amène un cri déchirant fait son effet, tandis que le ton des dialogues vient confirmer, ou infirmer, le talent des comédiens. Notamment de John Longden, quasiment impeccable. À ses côtes, Anny Ondra et Donald Calthrop (même si celui-ci s'en sort un peu mieux) n'ont que les défauts des actrices du muet qui s'alanguissent en longues poses – impression renforcée par un importante part de
la mise en scène qui ne se défait pas encore de ces habitudes suintant la composition de tableaux
dans lesquels la vie s'anime d'exagérations factices.
Intéressant de par l'essaimage constant de recherches formelles qui nourriront à l'avenir les meilleures narrations du réalisateur, Blackmail pâtit cependant de longueurs inhérentes aux habitudes du cinéma muet : une sorte d'évidence en somme, là où l'arrivée du son amène les cinéastes à repenser, à adapter et à réinventer presque, la grammaire du cinématographe. Un film qui, malgré ces longueurs et ces défauts, ne doit donc pas être nié puisqu'il se fait alors
témoin essentiel d'un processus créatif à l'œuvre.