Ce n'est pas tous les jours qu'on a l'occasion de découvrir un polar noir qui vous marque au fer comme celui là. Il faut dire que Roman Polanski, son réalisateur, s'amuse à brouiller toutes les pistes, depuis le titre et jusqu'à la dernière minute du film.
Chinatown raconte l'histoire banale d'un détective privé manipulé pour des raisons évidemment politiques et qui, au motif de redorer sa réputation avant qu'elle soit ternie, va s'engager dans une enquête retorse dans le milieu de l'eau, de sa distribution et des enjeux que sous tendent l'approvisionnement en période de sécheresse, dans les années 50 à Los Angeles.
Mais alors, que vient faire un tel titre ? Et bien, c'est là que démarre le tour de force de Polanski et de Towne, son co-scénariste. Si 11 nominations aux oscars ont flatté ce long métrage, c'est son scénario qui a reçu la seule vraie concrétisation, n'enlevant rien pourtant aux autres qualités indéniables du titre;
Chinatown distille les fausses pistes, parmi lesquelles figure Chinatown, ancrée dans le passé du héros, le détective Gittes, incarné par un Jack Nicholson génial (nominé), et revenant comme un fantôme énigmatique tout au long de l'oeuvre. Mais ce n'est pas tout. Chinatown démarre comme un polar gentillet, presque drôle, Nicholson conservant en toutes circonstances un recul par rapport aux événements, un flegme poli de chaque instant. Le mystère s'épaissit, les éléments sont longs à réunir et le puzzle à reformer.
Et puis il y a Faye Dunaway, l'épouse du puissant homme de l'eau, cible de toutes les intrigues. Elle est ambiguë de bout en bout, et explose l'écran à chaque apparition, envoûtante.
Depuis la comédie légère, Chinatown évolue subrepticement vers le drame tragique et grave. Sans échappatoire. La photo, sublime, les décors et costumes, impressionnants, le découpage du film, son script et ses dialogues, percutants, supportent un jeu d'acteur de grande qualité, rendant intenses les silences, les instants d'inaction, les moments où Gittes reste assis devant une secrétaire revêche, où quelques lignes de dialogue, quelques secondes d'un plan fixe installent un univers, des relations, les échanges de regards deviennent lourds de sens, les non-dits racontent une histoire dense, Chinatown se vit par ricochets, par interprétation, intérieurement, mais de manière marquante. Hypnotique.