Ceux qui me suivent régulièrement le savent : je ne suis pas le plus objectif des spectateurs concernant Emmanuel Mouret, réalisateur que j'adore depuis la découverte de « Changement d'adresse » et dont je n'ai jamais manqué le moindre film au cinéma depuis. Celui-ci n'est ni son plus ambitieux, ni son plus réussi, mais il lui ressemble, faisant comme toujours preuve d'une justesse, d'une sensibilité dans la description des sentiments amoureux qui touche, voire émeut profondément.
Portant parfaitement son titre, Mouret se plaît à croquer des moments précis d'une liaison amoureuse (à moitié) adultère, dans une logique parfaitement linéaire mais intelligemment elliptique, laissant une réelle part au mystère, à l'interrogation. Il sait parfaitement saisir les purs moments de complicité, de bonheur, mais aussi les malaises, les incompréhensions, y compris lorsque c'est le plus inattendu, le plus anodin.
Très éloquents, érudits, souvent drôles, toujours pertinents, les dialogues n'en ont pas moins leur part de non-dit, l'auteur des « Choses qu'on dit, les choses qu'on fait » se montrant probablement un peu plus « moderne » que d'habitude, dans les situations comme les réactions des personnages. L'œuvre, laissant donc une place importante au hors-champ, s'offre également quelques petites audaces formelles, notamment dans cette volonté de filmer ses décors (surtout intérieurs), ses héros, pas toujours placés à l'endroit que l'on aurait imaginé et même pas toujours visibles à l'écran, notamment au début.
Après, j'entends aussi les reproches : le cinéaste se renouvèle peu sur le fond, tient en définitive toujours les mêmes propos, évoque les mêmes enjeux, tire les mêmes conclusions : ce n'est pas faux. Mais le cadre, la nature des protagonistes, leur personnalité n'est jamais la même, si bien que me concernant, je n'ai pas vraiment ressenti l'impression de répétition, l'élégance, la sensibilité du réalisateur faisant toute la différence, sachant même surprendre lorsqu'il le faut. En effet, alors que j'étais dubitatif sur ce choix
d'expérimenter le triolisme,
celui-ci n'a rien de gratuit, se justifiant totalement par la suite en proposant un rebondissement inattendu, réussi.
Ce film est beau. Par ce qu'il dit, ce qu'il ne dit pas. Provoque beaucoup de réflexions, gambade dans nos têtes longuement après être sorti de la salle, nous renvoie inévitablement à certains moments vécus ou que l'on aimerait, d'une certaine façon, vivre un jour. Mouret a toujours compris qu'il ne suffit pas de montrer l'amour pour bien en parler, expliquant pourquoi il nous touche aussi régulièrement depuis presque vingt ans.
Alors tant pis si les dernières minutes ne sont qu'à moitié convaincantes, le cinéaste n'ayant jamais réussi à égaler sa magnifique conclusion d' « Un baiser, s'il vous plaît », surtout avec deux héros aussi charmants, dans lesquels il est presque impossible de ne pas se reconnaître (sans oublier Georgia Scalliet dans un second rôle capital qu'elle interprète avec beaucoup de douceur) : Vincent Macaigne, ratant à peu près tout à force d'être tellement adorable et de ne vouloir blesser personne qu'il passe à côté de l'essentiel, face à une Sandrine Kiberlain merveilleuse dans un de ses plus beaux rôles, constamment lumineuse et d'une subtilité rare dans son jeu, laissant poindre une fragilité, un romantisme qu'elle cherche à cacher derrière une grande légèreté : elle est magnifique.
Avec, en prime, une bande-originale toujours du meilleur goût, où trouve aisément sa place la délicieuse version de
« La Javanaise » par Juliette Gréco.
Même sans tout réussir, un nouvel Emmanuel Mouret est toujours un ravissement.