Une ville chinoise blafarde, fantôme, avant l'ultime assaut japonais...
J'ai déjà rué dans les brancards après la lecture de critiques qui n'en étaient pas : des textes qui oublient totalement les films censés les avoir motivés et qui ne sont en fait qu'un psittacisme relayant une lubie idéologique, une propension à s'opposer (par principe), une soumission à l'amusement...
City of Life and Death révèle, lui aussi, ces laisser-aller, ces égarements, ces tares...
Que certains ne parviennent pas à distinguer les belligérants et, prenant leur désir pour la réalité, en concluent que c'est un choix esthétique du réalisateur, ça ne mange pas de pain.
Que d'autres dénoncent les ralentis (?!), l'imagerie du sniper (!) --- le cinéma donnant maintenant la part belle à ce tireur d'élite, on ne peut plus le confondre avec le simple tireur embusqué ---, la violence (il s'agit du massacre de Nanking, pas de La Grande Vadrouille !), ou l'ennui généré (un grand classique de l'argumentaire à deux balles expédié en moins de dix mots), etc., c'est déjà plus gênant...
( et je ne parle pas des omniscients pseudo-puristes selon lesquels c'est le Parti qui a pour ainsi dire fait le film, quand d'autres clowns affirment qu'il fut un échec commercial en Chine... soit l'exact inverse de la réalité )
有些人,真的...
Mais le pire est sans conteste la dénonciation d'un prétendu pathos, alors que, comment l'ont bien souligné quelques Sens Critiqueurs ( grantofficer , Caine78 ...)
le film échappe admirablement à la complaisance.
Vous savez quoi ?
Les pauvres bougres qui voient du pathos à chaque coin de pelloche --- qui se la jouent continuellement Spectateur-lucide-et-aux-aguets (on en a un pesant panier concernant The Revenant), qui confondent le voyeurisme avec l'émotion inhérente à toute relation d'un événement douloureux... ---, ces pathétiques bougres, donc, en viendraient à regretter que dans Le Choix de Sophie, Meryl Streep ne confie pas sa petite fille au diable SS en se tapant sur les cuisses... ou que la mort de la maman de Bambi ne soit pas musicalement accompagnée par In the Mood...
您在檢查什麼?
L'objectif de Lu Chuan est de dénoncer les exactions des Nippons, à Nanking, ville « violée » (selon la tradition historiographique), au cours de l'hiver 1937-1938.
Et plutôt que de ternir âprement l'image nippone --- dans un élan super-bourrin façon sud-coréenne ---, le réalisateur chinois opte pour une stratégie très fine d'humanisation des guerriers japonais : en les montrant inquiets, paniqués, ahuris*, joyeux, nostalgiques… mais également en mettant en exergue leur culture (musique, rites, danse...).
Nous n'avons pas affaire aux barbares à poils durs de la scène d'ouverture de Gladiator, mais à une nation organisée, méthodique, fière, sensible...
ET POURTANT... cette appartenance à une culture ancestrale, raffinée (un os à ronger pour le thésard en socio-anthropologie... Tiens ! Attrape !!), célébrée mondialement, n'empêche pas ses dépositaires de sombrer dans la pire sauvagerie.
Monstrueux hiatus qui, pour corser la mise, se double d'un contraste avec la figure du personnage central du film : le sergent Kadokawa --- non, ce n'est pas une offre de café, Jennifer : retourne poser à la vitrine du StarFuck's avec ton ordi à la pomme...
Kadokawa... moustachu... ok... et chrétien... ah... … pas banal dans un pays où le christianisme n'a jamais pris. La japonité du héros n'est donc pas totale ; sa compassion vient d'ailleurs...
L'Occident est aussi représenté par les hommes et les femmes portant secours aux civils chinois. Parmi eux, un Allemand, portant swastika (brassard). La facture s'alourdit : même les nazis sont moins sauvages que les Japonais...
Those with family can go get them. (…) But each one can save just one. Just one.
Le metteur en scène chinois fait en outre le choix de la progression saccadée --- ce que les impatients shootés à Marvel appellent « manque de rythme » --- : l'horreur** va toujours crescendo, mais avec des paliers, des silences sublimes, parfois terrifiants (la scène des enfants et du chien)... et de nombreux gros plans mettant en relief les incompréhensions : les leurs et les nôtres...
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Première demi-heure (Chapitre 1) : Kadokawa ahuri après que lui et ses hommes ont criblé de balles le confessionnal où s'abritaient six jeunes filles
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La défenestration de la fillette est un des moments de cinéma les plus dérangeants qu'il m'ait été donné de voir (avec l'attaque du campement de Little Big Man et « la danse » de Platoon)