Une soirée, des danseurs, de la drogue… Tourné en deux semaines et sans scénario, Climax avait filé le vertige à la croisette en mai dernier, repartant fièrement avec le prix de la Quinzaine des Réalisateurs. Douze ans après un Irréversible qui fit scandale, Gaspar Noé a ainsi pu prendre sa revanche sur une cinéphilie française bien souvent réticente à l'idée d'être dérangée dans son petit monde bien rangé. Car croyez-moi, le monsieur ne s'est pas assagi avec le temps...


Danse macabre


Si Gaspar Noé aime tourner sans script ni répétitions, ce n'est évidemment pas par flemmardise. L'artiste cherche avant tout à saisir l’insaisissable, à capter l'imprévisible... Ne pas donner de directives précises, c'est permettre à chaque artiste impliqué d'apporter un morceau de sa vision, un bout de son monde... Car Climax est en effet une œuvre cosmopolite. Ses comédiens (amateurs pour la plupart) sont avant tout des danseurs aguerris et possèdent autant d’origines différentes que de façons de bouger. « Un film français et fier de l’être » nous dit le carton au début du long métrage. Noé vient donc ici célébrer une France multiculturelle et analyser ce qui fait sa beauté mais aussi sa propension au clivage et à l’autodestruction. Il en résultera un cocktail incroyablement énergisant et vivant, une spontanéité qui fait plaisir à voir et, malgré la noirceur abyssale qu’empruntera le récit, une véritable célébration de la vie.


Noé l'a dit lui même, il n'a pas de scénario mais il a une intention : celle de livrer un film coup de poing, une œuvre d'art qui se consomme d'une traite, tel un rail de coke, mais dont les effets se prolongent encore et encore. Mais attention, n'allez pas croire que le réalisateur opère ici un hymne à la drogue et à la débauche. Bien au contraire, Climax se pose vite comme la meilleure campagne anti-drogue possible. Car cette histoire de soirée qui tourne mal (après que quelqu'un ait mis une substance hallucinogène dans la sangria) n'a rien d'un trip planant mais tout d'une descente aux enfers. La drogue est avant tout ici un désinhibiteur retirant progressivement le filtre de la bienséance collective et anéantissant l'hypocrisie sociale pour mieux laisser surgir les comportements les plus abjectes, cruels et égoïstes liés au mal-être et aux peurs de chacun.


Vertigo


Climax est donc un véritable bad trip, un roller coaster émotionnel, visuel et sonore qui donne le vertige à tous les niveaux. Et cette métaphore est encore plus parlante lorsque l’on aborde la question de la mise en scène. Comme à son habitude, le cinéaste fait de sa caméra un spectre déambulant venant hanter les protagonistes. Mouvements impossibles, plan séquences qui n’en finissent pas, cadres si symétriques qu’ils en deviennent irréels… Noé fait de son œil mécanique le transmetteur de ses obsessions et le témoin-créateur de cette poésie violente qu’il affectionne tant. Une démarche qui rappelle celle de ses nombreux cinéastes fétiches : Argento, Zulawski, Pasolini… Et comme beaucoup de ses modèles, Noé est dans une quête constante d'abstraction, de cette transcendance à travers l’art... Autrement dit, l’effet de la drogue sans la drogue.


Qui dit drogue dit redescente et, tel un vinyle que l'on retourne, Climax possède deux faces, ou l'exaltation versus la chut, l’euphorie versus l’expiation. Mais malgré ce clivage et son mouvement constant, le film souffre parfois d’un déroulement un peu trop "monochrome", puisqu’une fois lancé sur ses rails, Climax ne surprendra que trop rarement et manquera, paradoxalement, d'un véritable climax, ce point culminant qui nous assènerait l'ultime coup de poing pour nous mettre KO. Reste que le cinéaste regagne ici la puissance évocatrice et émotionnelle qu'il avait un peu perdu sur Enter The Void et Love, deux films qui restent fascinants mais demeurent trop étirés et dispersés pour décharger la même énergie électrisante que ses autres travaux. Revenir à un format d'1h30 (comme sur Seul Contre Tous et Irréversible) lui permet indéniablement d'assener son discours avec toute la puissance troublante qu’on lui connaît. Ce qui reste évident, c’est qu’au fil de cette filmographie toujours plus cohérente, le réalisateur cherche à dessiner un cinéma du chaos, ce chaos qui s’immisce toujours, partout, quelque soit l’épaisseur du cadre que l’on essai d'instaurer.


On ressort de cette danse macabre lessivé et éreinté par tant de maîtrise, de liberté de mouvement et d'intensité suintante… Mais c’est d’une maîtrise du désordre dont Gaspar Noé fait preuve ici. Il nous offre avec Climax un véritable film d’horreur, de ceux qui donnent la nausée et montre la capacité de l’humain à se déchirer des autres et à s’autodétruire à coup de substances (drogues, alcool...) qui s'offrent dans un premier temps comme échappatoire, puis mutent en un inévitable purgatoire. Comme à son habitude, le cinéma de Noé nous fait jouir autant que souffrir, et c'est pour ça que nous l'aimons tant.


critique originale : https://www.watchingthescream.com/the-dope-show-critique-de-climax/

watchingthescream
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Créée

le 19 sept. 2018

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Aurélien Z

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