Toi, tu veux faire du sale !
Ce propos dit à l'attention d'un des personnages résume très bien le cinéma de Gaspar Noé, utilisant des thèmes sociétaux, dérangeants et malsains, pour susciter une émotion viscérale chez le spectateur, et le sortir de sa zone de confort afin qu'il exprime réellement son avis sur l'œuvre visionnée. Avec ce dernier, ce n'est pas un cinéma aseptisé et formaté, se laissant aller dans un conformisme ne provoquant aucune vague émotionnelle ou réflexive sur le long terme. Il le dit lui-même :
Pour moi, le cinéma doit être une expérience immersive . Rien n’est plus épouvantable que de voir un public apathique comme douché par un robinet d’eau tiède.
La provocation de ce réalisateur ne s’arrête pas là, sinon il n’aurait pas ses inconditionnels depuis le début de sa carrière. Ses idées de mises en scènes sont là également pour que le public ressente des émotions bonnes ou mauvaises, tout au long de son métrage. Ainsi, il se sent vivre à travers ce qu’il voit et sent à 100%. Pour Noé, le spectateur ne doit jamais être passif devant ses œuvres. C’est une chose que l’on ne peut pas lui enlever mais il faut savoir dans quoi on s’engage. Je l’ai appris à mes dépens en allant découvrir son Irréversible, au moment de sa sortie en salles.
Alors, vous allez me dire pourquoi remettre ça si tu n’aimes pas ce qu’il fait ? C’est simple car le sujet et la prestation de Sofia Boutella, en tant que danseuse, m’ont intéressé. Et puis rester camper sur ses positions n’est pas forcément une bonne chose. Donner une seconde chance permet de découvrir l’évolution d’une personne ou non. N'est-ce pas ?
Contrairement au film avec Monica Belluci, il s’ouvre sur un paysage blanc immaculé et enneigé, avant qu’une personne blessée mais survivante ne vienne souiller cette nature parfaite, avec son sang. Le ton est donné, dès les premières secondes, avant que la caméra ne se mette à tourner sur son axe pour présenter le générique de fin. Ainsi, cette introduction est en fait la scène post-générique, qui est devenue une véritable référence de la franchise Marvel. Sauf que là, on est clairement dans du cinéma expérimental donc il est nécessaire de se démarquer pour surprendre son public. Ici, pas besoin d’attendre tout le film pour la découvrir laissant un peu d’espoir (vraiment ?) sur la finalité de ce Climax. Le metteur en scène casse, comme toujours, les codes cinématographiques en inversant, la présentation d’un film car le titre apparaîtra dans le dernier plan. Je vous rassure l’histoire est racontée ensuite de manière chronologique. La présentation des personnages est effectuée à travers des interviews diffusées par une télévision (Un bon vieux tuner du XXème siècle !!). Cette dernière est elle-même entourée de livres et de cassettes VHS montrant clairement l’univers ou la psyché du réalisateur pour appréhender sa nouvelle création.
Les choix musicaux et les chorégraphies sont parfaitement synchronisés, tout en ayant un côté hypnotisant dans la manière d’être filmés, comme si on entrait en transe avec les personnages. J’ai apprécié le mélange des différents styles de danse afin de montrer l’état d’esprit des protagonistes au fur et à mesure que la soirée avance. Formellement, le film est très réussi pour nous emmener progressivement dans l’enfer d’une soirée devant fêter la réussite d’un show très éprouvant. Ce dernier réalisé en plan séquence est celui qui a ma préférence.
Climax se divise en deux parties vraiment distinctes, un peu comme le Hostel de Eli Roth (faire la fête avant que cela parte en vrille). Le schisme arrive à partir de la 44 minutes où apparait le casting avec une police différente pour chaque acteur, avant de basculer dans l’horreur, le malsain, le trash comme le fait si bien notre réalisateur. Comme souvent, le sexe, en plus de la drogue, s’invite à la fête autant dans des relations hétérosexuelles, homosexuelles et même incestueuses. Hé oui ! Il n’est plus à ça près pour choquer ou provoquer une réaction chez le spectateur. J’ai l’impression qu’il veut être considéré comme le Pier Paolo Pasolini français montrant à quel point notre sexualité peut être source de création (Naître est une opportunité unique) ou de destruction à travers la petite mort ou l’orgasme (Mourir est une expérience extraordinaire). Ce que je viens d’énoncer entre parenthèses sont des citations présentes dans le long métrage.
Un aspect de la filmographie de Noé m’intrigue depuis Irréversible et avec lequel j’ai le plus de mal : c’est le traitement des femmes enceintes ou des mères. Soit elles sont salement maltraitées ou subissent les pires outrages comme s’il rejetait, d’une certaine manière, le fait d’être né dans un monde comme le nôtre ou sa relation avec sa mère. Ici, une est montrée comme une irresponsable ne savant pas protéger son fils,
avant de commettre l’irréparable. Elle aurait pu simplement s’isoler avec lui, en s’enfermant dans une chambre. En effet, certaines personnes du groupe dont Selva (Sofia Boutella) ont agi ainsi pour se protéger des hommes ayant pété un plomb.
De plus, une femme enceinte est passée à tabac par une autre femme, avant qu’on ne l’oblige à se mutiler avec un couteau. Pas besoin de faire un dessin pour comprendre la symbolique freudienne. Cette violence constante et systémique envers le sexe féminin m’empêche d’adhérer à ses œuvres. Je ne peux pas passer, à côté du fait, que le sacrifice de l’innocent
(Mort d’Omar ou celle de l’enfant à naître dans Irréversible)
est, aussi, un aspect récurrent montrant le côté animal de l’espèce humaine, satisfaisant ses plus bas instincts, sans prendre conscience de l’ampleur de la destruction qu’il engendre. Cela explique en partie la présence de la citation suivante : Vivre est une impossibilité collective.
Ainsi, au niveau formel, je suis enclin à lui donner 8 car il nous fait bien retranscrire ce qu’ils ont subi pendant cette soirée, jusqu’à ce magnifique plan filmé de l’intérieur de la salle de danse, éclairé avec une couleur rouge (l’Enfer), se dirigeant vers la porte ouverte faisant entrer une lumière blanche aveuglante comme l’entrée d’un Paradis retrouvé. Difficile à ce moment là de ne pas penser à la chanson de Michel Berger car la référence est assez flagrante.
Mais au niveau du fond, certains partis pris scénaristique m’empêchent d’apprécier pleinement ce Climax, notamment dans ce que j'ai évoqué plus haut. Difficile de ne pas réagir négativement devant ce film abordant des sujets difficiles avec lesquels je ne suis absolument pas d’accord comme l’inceste, la violence faite aux femmes et aux enfants traitées, de plus avec un certain cynisme, de manière provocatrice et malsaine. Il est nécessaire qu'un long métrage suscite une réflexion et une dénonciation sur ces thèmes très sensibles aujourd'hui pour que le public adhère plus facilement, tout en essayant de faire bouger les lignes et les mentalités sur le long terme.
En conclusion, je vais mettre un 6 car cette expérience cinématographique est comme la vie, à la fois, plaisante comme une danse, et horrible comme la mort d’un être aimé. D'autant plus que les scènes de danse continuent à me rester en mémoire longtemps après le visionnage. A nous de garder le meilleur, et d’apprendre des choses négatives qui nous arrivent, quand c’est encore possible, en appliquant la maxime éculée de Nietzsche dite lors d'une interview au début du film :
Ce qui ne me tue pas me rend plus fort.